Avec la réforme, le statut des auto-entrepreneurs est-il en péril?

Ludwig Gallet
Publié le 21 août 2013 à 18h08
Sylvia Pinel, la ministre de l'Artisanat et du commerce a présenté entre autres ce matin en Conseil des ministres les éléments de réforme du statut des auto-entrepreneurs. Un texte controversé, qui alimente de vifs débats.

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La présentation en Conseil des ministres du projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux petites entreprises était particulièrement attendue. Un volet attire tous les regards, le statut des auto-entrepreneurs, notamment depuis que Sylvia Pinel, la ministre de l'Artisanat et du commerce a présenté les premières lignes de sa réforme, au début du mois de juin.

Celle-ci concerne bien évidemment les professionnels de l'informatique et de l'Internet. D'après les dernières statistiques de la Caisse nationale du réseau des Urssaf, sur les 893 000 auto-entrepreneurs recensés à la fin du mois de mai 2013, près de 37 000 se sont déclarés dans le secteur des activités informatiques. Auxquels il faut ajouter ceux exerçant dans le secteur de l'e-commerce, potentiellement intégrés dans les activités de commerce, ainsi que ceux travaillant dans l'édition web, confondus pour certains dans la catégorie « édition et audiovisuel ».

Depuis les annonces de Sylvia Pinel, un mouvement de contestation des auto-entrepreneurs, dénommé « les poussins », a pris forme. Une référence au groupement des « pigeons », lancé à l'automne 2012 contre les projets inscrits dans le cadre du projet de loi de Finances 2013, instaurant l'alignement de la taxation des revenus du capital sur ceux du travail ainsi que sur la limitation des plus-values de cessions. Le gouvernement avait fini par céder en partie à leurs revendications.

Pour les poussins, ce projet de loi signifie la mise à mort du statut des auto-entrepreneurs. En cause : l'abaissement des seuils au-delà desquels ces derniers doivent basculer vers un régime classique. Si l'auto-entrepreneur dépasse ces seuils pendant deux années consécutives, alors il devra sortir obligatoirement de ce régime. Pour les poussins, ce délai instauré dans le projet est beaucoup trop court pour assurer une transition en douceur.

La question des seuils est critique. Début juin, Sylvia Pinel évoquait un niveau de revenus maximum de 19 000 euros annuels pour les activités de service, contre 32 600 euros aujourd'hui. Pour le commerce, le seuil devait être raboté de 81 500 euros à 47 500 euros. Reste que dans la dernière version du projet de loi, présentée à l'identique en Conseil des ministres, les seuils en question ne sont plus explicitement mentionnés, bien que le principe perdure. En réalité, le texte explique que ces derniers seront fixés a posteriori par décret. Contacté par l'AFP, le ministère de l'Artisanat, du commerce et du tourisme a néanmoins fait savoir que ces derniers restaient d'actualité.

Abaisser les seuils « ne réglera pas le problème du salariat déguisé »

Pour Adrien Sergent, l'initiateur du mouvement des poussins, ces seuils vont tuer la dynamique de création d'entreprise via le statut. « En comptant les charges, les professionnels des services ne pourront même plus espérer gagner le SMIC. Ils n'auront pas non plus les moyens de se tourner à brève échéance vers les statuts classiques, puisque le basculement coûte beaucoup d'argent ». Il y voit la volonté « de ne pas débattre de ce qui est le plus controversé ». Contacté par la rédaction, celui-ci explique que « de nombreux parlementaires, y compris de la sensibilité politique de Sylvia Pinel, sont opposés à la limitation des seuils ». Et de rappeler que les rapports commandés par la ministre auprès de l'IGAS et de l'IGS préconisaient de ne pas limiter le statut dans le temps et d'accompagner l'auto-entrepreneur dans la pérennisation et le développement de son activité

Adrien Sergent pourrait être qualifié de précurseur en matière d'entrepreneuriat. Agé aujourd'hui de 19 ans, il a lancé son activité à 16 ans, alors que les textes n'avaient même pas prévu ce cas de figure. Spécialisé dans les jeux vidéo, en tant que « game designer », il a à l'époque réussi à convaincre l'URSSAF du bien-fondé de son projet et de sa maturité. Son cas a en quelque sorte fini par faire jurisprudence dans le monde de l'auto-entrepreneuriat.

La ministre justifiait de son côté la réforme du statut par la volonté de simplifier les régimes d'entrepreneurs individuels. De plus, elle entend ainsi lutter contre les phénomènes de salariat déguisé et de concurrence déloyale, avancés notamment par des représentants des professionnels de l'artisanat. Mais pour le chef de file des poussins, ces mesures ne régleront en rien le problème. « Ce n'est pas en abaissant les seuils que le problème du salariat déguisé sera réglé, au contraire. Ce qu'il faut, c'est le renforcement des contrôles effectués auprès des entreprises. C'est comme si vous supprimiez les prestations sociales pour lutter contre les fraudes ».

Les seuils avancés par Sylvia Pinel n'ont en réalité pas non plus convaincu la CAPEB, Confédération de l'artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment, qui explique dans un communiqué que ces derniers ne feront qu'amplifier les méthodes de dissimulation des revenus pour éviter de dépasser les seuils, du moins pour ce qu'il est de l'auto-entrepreneuriat dit « d'appoint », servant à glaner des revenus complémentaires à son activité principale.

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« L'activité d'auto-entrepreneur crée des tensions »

Jérémy Barralon est un auto-entrepreneur de 27 ans, qui s'est lancé dès la création du statut en 2009 dans une activité d'appoint, en tant que développeur Web. Il est par ailleurs employé dans ce secteur à temps plein. Pour lui, « le statut auto-entrepreneur est un bon moyen de tester un business sans trop se mouiller. Au-delà, il faut un vrai statut. Et, il est vrai que l'activité auto-entrepreneur en tant qu'activité principale crée des tensions. Et c'est tout à fait normal. Un artisan avec un statut classique payera bien plus de charge et facturera de ce fait beaucoup plus. Comment rivaliser dans ce contexte... »

Pour autant, il se dit également contre la limitation des seuils. « Mon point de vue sur la réforme est plutôt négatif », explique-t-il. « Il n'y a pas besoin de réformer ce statut, qui est avant-gardiste. Peut-être le gouvernement devrait-il plutôt réfléchir à simplifier et alléger les charges des régimes dits classiques ». Et d'expliquer que tous les secteurs ne sont pas touchés de la même manière par ce phénomène de concurrence déloyale, avancé par les artisans, notamment dans le domaine informatique.

En novembre, Jérémy ne sera plus concerné par le régime. Il a en effet décidé de se lancer dans le grand bain en basculant sous un régime classique, en vue de la création d'un réseau social. Et s'il avait dû poursuivre son activité d'appoint ? « Je pense que j'aurais adapté mon activité pour ne pas dépasser les 19 000 euros annuels », confie-t-il.

Avant son passage au Parlement, une commission présidée par le député PS Grandguillaume sera mise en place, en septembre. Chargée de réfléchir sur entrepreneuriat individuel, elle aura à coup sûr son mot à dire sur le projet de Loi et pourrait être à l'origine de certains amendements parlementaires. En attendant, le mouvement des poussins va se poursuivre. « Notre pétition en est à 114 000 signatures. Nous allons poursuivre la contestation sur les réseaux sociaux et en septembre, nous organiserons une mobilisation de terrain. Ce ne sera pas une manifestation dite traditionnelle, elle sera un peu plus innovante », promet Adrien Sergent.
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