KickStarter, Ulule, MyMajorCompany... gros plan sur le financement participatif

Audrey Oeillet
Publié le 25 février 2013 à 16h43
Popularisé par des services comme My Major Company ou KickStarter, le principe du crowdfunding, autrement dit le financement participatif, est aujourd'hui très présent sur Internet, dans des secteurs très divers. Les internautes peuvent de plus en plus s'investir et surtout investir dans des projets qui les intéressent. Mais pour quel retour ? Car le crowdfunding, ce n'est plus seulement donner, c'est aussi, souvent, recevoir. Le problème, c'est que ce genre de service n'est pas toujours prévu pour ça, et que les promesses ne sont pas toujours tenues. Le développement de cette démarche riche d'enjeux méritait que l'on s'y attarde.

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Le crowdfunding, dans les grandes lignes, c'est quoi ? C'est une démarche de financement et de production participative. D'un côté, il y a l'initiateur d'un projet, qui le présente ainsi que son plan à plus ou moins court terme, et qui donne une estimation financière sous la forme d'une somme à atteindre. De l'autre côté, il y a les participants potentiels au financement, généralement appelés backers (pour bailleurs de fonds) : s'ils sont séduits par le projet, ils peuvent donner une somme d'argent, symbolique ou plus conséquente, pour que la démarche aboutisse. Généralement, le don est en stand-by jusqu'à ce que la période de donation se termine : si la somme initialement espérée par le porteur du projet est atteinte, les comptes des participants sont alors débités. Sinon, le projet est clôturé et ne récolte pas d'argent.

Le succès d'un projet soumis au crowdfunding dépend donc de nombreux critères : il doit, d'une part, parvenir à capter l'attention et l'intérêt de ses participants financiers potentiels. D'autre part, il doit présenter un budget à sa hauteur, qu'il sera possible d'obtenir avec le soutien de sa communauté. Deux points d'importance mais qui, comme nous le verrons plus loin dans ce dossier, ne sont pas les seuls qui peuvent garantir le succès d'un projet exposé au crowdfunding.

Quelques plateformes grand public célèbres

Parmi les plateformes de crowdfunding populaires, on peut citer, en France, My Major Company : fondée en 2007, cette maison de disques a la particularité de proposer à sa communauté d'investir dans de jeunes artistes pour produire leur premier album. Si ce dernier est un succès, les donateurs reçoivent un retour sur investissement à la hauteur de la somme initialement versée. L'artiste le plus célèbre issu de My Major Company est le chanteur Grégoire, dont le premier album, couronné disque de diamant - 500 000 unités vendues - a permis à ses premiers fans de rentabiliser leur investissement. Aujourd'hui, cette plateforme s'est généralisée et ne se dédie plus uniquement à la musique.

My Major Company a ouvert la voie à de nombreux autres services de crowdfunding en France ces dernières années, qu'ils ciblent un secteur spécifique comme le cinéma - People for Cinema, Touscoprod - le jeu vidéo - Digital Coproductions, Gamesplanet Lab - l'édition - Mymajorcompanybooks, Sandawe - le sport - Sponsorise.me - ou qu'ils soient plus généralistes, à l'image d'Ulule ou de Kiss Kiss Bank Bank. Autant de plateformes nées depuis 2007, et dont certaines n'ont que quelques mois à ce jour.

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Kiss Kiss Bang Bang, plateforme généraliste française.

Mais comme on peut l'imaginer, ce phénomène n'est pas spécifique à la France, et un très grand nombre de projets qui aboutissent en récupérant des sommes colossales nous viennent d'outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, s'il ne fallait retenir qu'une seule, il s'agirait sans nul doute de KickStarter : s'il ne s'agit pas du premier service américain de ce type - il a été lancé en 2009 - sa popularité et son statut en font la plateforme privilégiée pour les projets à gros, voire très gros budgets.

Le crowdfunding aussi par les pros, pour les pros

Mais le crowdfunding a également sa place dans le milieu professionnel, avec des plateformes comme Z'entreprendre, qui mélange réseau social et financement participatif. Les entrepreneurs y dévoilent leur projet, se constituent un « réseau de confiance » et reçoivent des conseils de la communauté. Le projet est ensuite soumis pour recevoir des soutiens : la démarche étant la création d'entreprise, elle parle forcément moins aux grand public et davantage aux investisseurs purs et durs.

Pour autant, un particulier qui participe à un projet soumis au crowdfunding participe, d'une certaine manière, à une levée de fonds similaire à celles que l'on trouve dans le milieu des start-ups et des business angels... en est-il un pour autant ?

Donateur ou investisseur ? Le backer en question

En tant que participant au financement d'un projet sur une plateforme de crowdfunding, il y a plusieurs manières de voir la démarche : dans le cas d'une démarche à la My Major Company, le retour sur investissement est clairement explicite dès le départ : « miser » sur un artiste qui peut cartonner une fois dans les bacs rapportera de l'argent à la hauteur de l'investissement. A l'inverse, si l'artiste ne réussit pas à percer, le retour sur investissement est minime. La version actuelle du site informe néanmoins le participant des retours financiers qu'il peut potentiellement obtenir en cas de succès de certains gros projets.

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Exemple de retour sur investissement, à partir de 10 euros de financement.

Dans un tel contexte, l'heure est clairement à l'investissement, d'autant qu'aux éventuels retours financiers s'ajoutent généralement des contreparties supplémentaires au fur et à mesure que le « don » est conséquent : donner une somme d'importance pour le financement d'un album peut garantir la réception du CD en avant-première, des places de concert... les porteurs de projets proposent souvent de nombreux paliers pour motiver l’intérêt des participants potentiels. En misant sur un projet qui fait mouche, il est possible de repartir avec les contreparties et un retour sur investissement.

Le jeu vidéo, star du crowdfunding... et des précommandes déguisées ?

Sur ce type de plateformes, les projets se bousculent : productions vidéos, projets d'édition d'ouvrages, produits high-tech ou encore jeux vidéo comptent parmi les plus représentés. Dans la plupart des cas, les démarches sont planifiées, détaillées, voire même déjà bien avancées : il n'est pas rare qu'un projet dispose déjà d'un prototype totalement fonctionnel, et n'attende que les fonds nécessaires pour entrer en production. Dans le cas des jeux vidéo, l'une des thématiques les plus présentes dans les projets de financements participatifs, il est fréquent que de gros studios soient de la partie et cherchent à financer un titre dont la production a déjà commencé.

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Financer le projet de jeu d'Obsidian à hauteur de 140 dollars assure une alléchante contrepartie...

En somme, on se retrouve très souvent devant des projets clairement professionnels, qui agissent comme tels : les sommes à récolter sont très lourdes, de quelques dizaines de milliers de dollars à plusieurs millions, et les contreparties sont souvent importantes. Là encore, difficile de parler de don, mais pas toujours facile de parler d'investissement non plus, surtout quand les contreparties proposées promettent d'acquérir le produit financé en avant-première, à un prix plus bas que celui auquel il sera commercialisé sur le marché.

Pour Pierre Forest, PDG de Metaboli et fondateur de GamesPlanet Lab, une plateforme de crowdfunding française orientée autour du jeu vidéo, l'accès au produit fini dans des conditions privilégiées est la condition sine qua non pour que la plupart des gens investissent.«  Durant la période de financement participatif, le jeu est proposé à un prix bien moins élevé que celui qui sera affiché en magasin. Dans le milieu du crowdfunding, on peut également choisir les bonus qu'on désire avoir, selon nos moyens. Ça change énormément de choses » nous explique-t-il, ajoutant que GamesPlanet Lab vend, par le biais de ses projets, environ 15% d'éditions collector de jeux, le reste étant principalement du dématérialisé. « Le crowdfunfing et la distribution de produits sont liés, on ne peut pas le nier. C'est bel et bien un moyen de précommander un produit » assure-t-il. « Si les gens soutenaient uniquement pour soutenir, les montants seraient très faibles. »
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Face à des poids lourds pros et « industriels », capables de faire de la promotion pour leurs projets à grand renfort de communiqués de presse, difficile pour les associatifs et autres petites entreprises de promouvoir leurs démarches. En septembre dernier, KickStarter mettait en avant l'ascension fulgurante des projets de jeux vidéo sur la plateforme : en 2012, les jeux vidéo sur KickStarter ont récolté pas moins de 83 millions de dollars, pour 911 projets financés sur 2800 proposés. C'est le plus gros secteur représenté sur la plateforme, qui a récolté au total 320 millions de dollars durant l'année. La musique, le cinéma, les technologies et les projets artistiques sont également présents, mais les grands projets caritatifs se font bien plus rares.

Parmi les succès de 2012, ont trouve de véritables success story : le nouveau titre de la franchise Broken Sword de Revolution Software n'a mis que quelques jours à atteindre la somme désirée de 400 000 dollars, atteignant presque le double au bout d'une campagne d'un mois. Project Eternity, d'Obsidian, cherchait 1,1 million de dollars de financement : il a finalement récolté près de 4 millions de dollars. Côté hardware, la console Ouya, sous Android, avait besoin de 950 000 dollars pour se concrétiser : au terme de sa campagne sur KickStarter, le projet avait récolté 8,6 millions de dollars.

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D'autres projets tournent nettement moins bien : Day One, le projet du studio Pendulo (The Next Big Thing, la saga Runaway) cherchait un financement de 300 000 euros : au final, 48 000 euros seulement ont été promis. Dans ce cas, le studio ne touche rien puisque la somme désirée n'a pas été atteinte.

Il ne suffit donc pas seulement d'offrir des contreparties aux « donateurs », et des projets à première vue ambitieux peuvent ne pas aboutir : même portés par des studios, des artistes ou des entreprises connues, les « investisseurs » ne se jettent pas toujours à corps perdu dans la mêlée du financement participatif.

J'ai participé... et après ?

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Ca y est, c'est fait : un projet vous a convaincu, vous vous êtes jeté à l'eau et avez investi quelques deniers pour aider ce dernier à atteindre ses objectifs. Et maintenant ? Comme expliqué dans la partie précédente, il y a deux écoles : soit le projet n'atteint pas son objectif financier et, dans un tel cas, votre argent ne sera jamais débité, soit le projet atteint son objectif et là, l'argent promis par les investisseurs est débité pour être concrètement investi dans l'initiative. C'est là, en réalité, que la phase devient plus ou moins critique.

Pourquoi critique ? Tout simplement parce que la plateforme de financement participatif a, elle, joué son rôle : elle a validé le projet, l'a mis en avant, lui a permis de récolter des fonds et a géré les différentes transactions. A partir du moment où un projet est financé, il est dans les mains de son initiateur, qui doit prendre ses responsabilités : concrètement, la majeure partie des plateformes de crowdfunding se dédouane complètement de ce qui se déroule après la levée de fonds, même s'il existe quelques exceptions.

« KickStarter n'est pas un magasin »

Sans grande surprise, l'une des premières plateformes de financement participatif ayant jeté un pavé dans la mare à ce sujet, c'est KickStarter : en septembre 2012, le service a répondu aux critiques liées à l'« après financement » dans un billet de blog nommé « KickStarter n'est pas un magasin » : « Il est difficile de savoir combien il y a de personnes qui considèrent qu'ils font un achat dans un magasin lorsqu'ils donnent de l'argent sur KickStarter. Mais nous voulons nous assurer qu'il n'y en a aucun » explique le service. Ce dernier a mis en place un espace, nommé « risques et défis », dans lequel les créateurs de projets doivent mettre en avant les difficultés potentielles qui pourraient entraver l'avancée de leur démarche. Par ailleurs, KickStarter demande également de nombreuses preuves démontrant que le projet se trouve déjà à un stade relativement avancé, comme des croquis, des plans ou des prototypes : le service examine les projets au cas par cas et, si quelque chose cloche, se donne le droit de ne pas le valider. Et même si le site fait tout pour se dédouaner d'un échec suite au financement d'un projet, il indique néanmoins clairement qu'un porteur de projet doit pouvoir rembourser les investisseurs en cas de gros problème pour le mener à bien.

Car malgré ces précautions, les projets financés via KickStarter et qui n'aboutissent pas sont nombreux et les investisseurs, bien qu'avertis des risques, sont souvent moroses. En décembre 2012, un lecteur de Clubic nous a contacté pour nous signaler que la clé USB Cryptek, dont nous parlions un an plus tôt et qui avait bénéficié d'un investissement bien plus conséquent que sa demande initiale, n'avait plus donné signe de vie depuis plus d'un an. Sur KickStarter, les backers se sont déchaînés dans les commentaires, jusqu'à ce que Cryptrade annonce finalement en janvier la mise en place d'une procédure de remboursement pour les investisseurs mécontents, même si le projet est vraisemblablement toujours sur les rails.

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Néanmoins, il faut tout de même souligner que malgré l'absence de transparence de la société Cryptrade envers ses investisseurs, ces derniers n'avaient aucun véritable recours auprès de KickStarter pour se faire rembourser, outre passer par la case justice (voir plus bas) : une fois l'argent dans la poche du créateur de projet, il faut lui faire confiance. La seule manière de ne pas prendre de risque, c'est de ne pas investir : un professeur d'économie de l'université de Pennsylvanie a mis en lumière, dans une étude publiée en juillet 2012, que 75% des projets financés en crowdfunding délivraient le produit final en retard, voire ne le délivraient pas du tout.

D'autres méthodes, d'autres projets

Mais la « méthode KickStarter » n'est pas appliquée partout : reprenons l'exemple de GamesPlanet Lab, plateforme de crowdfunding française, tournée vers le jeu vidéo. Affiliée à la plateforme de téléchargement légal Metaboli, elle fonctionne en collaboration avec Ulule, service de financement participatif général. Pierre Forest, fondateur de GamesPlanet Lab, a une vision très différente du crowdfunding : comme évoqué plus haut dans ce dossier, il considère la démarche d'investissement comme un pré-achat. Par ailleurs, à l'inverse de KickStarter, GamesPlanet Lab a des enjeux dans les projets qu'il soutient, puisqu'il compte vendre les jeux produits sur sa plateforme.

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Magrunner cherchait 100 000 euros pour se financer : il en a trouvé 110 000.

Dès lors, le choix des projets à mettre en avant et a accompagner est crucial : c'est la raison pour laquelle la plateforme, fondée en juillet 2012, n'a pour l'heure soutenu que deux projets, dont l'un, Day One, n'a pas trouvé le financement nécessaire. Pour le second, Magrunner, le succès a par contre été au rendez-vous, a tel point que des investisseurs s'y sont intéressés et que le projet est désormais en développement sur plusieurs plateformes. Pour Pierre Forest, c'est très positif : « On ne cherche pas l'exclusivité, mais on est l'un des acteurs du succès du jeu. » Et si l'allongement de la phase de développement rallonge également les délais de livraison du jeu et de ses bonus, c'est toujours GamesPlanet Lab qui gère le bon déroulement des différentes étapes de l'après financement : à l'inverse de KickStarter, la plateforme ne se dédouane pas une fois l'argent versé aux créateurs du projet, et sa commission prise. Une situation qui s'explique par le fait que GamesPlanet Lab proposera également le jeu sur sa plateforme : les enjeux sont aussi ceux d'un distributeur. « Je trouve KickStarter génial, mais je ne le vois pas à travers des yeux romantiques : pour moi, c'est une distribution de produit one-to-one directement à destination des consommateurs. Il y a une vraie force dans le fait de pouvoir customiser le produit, mais ça a un prix. Et puis, KickStarter n'apporte aucune garantie sur les produits » résume Pierre Forest.

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Du côté d'Ulule, « première plateforme de crowdfunding en Europe », la dimension d'accompagnement est elle aussi très forte : « On ne fait pas un tri très important, mais nous aidons les porteurs de projet pour maximiser leurs chances : nous avons un taux de succès de 62% sur Ulule » explique Mathieu Maire du Poset, directeur projets et communication du service. En 2 ans, Ulule a vu 1680 projets financés, à hauteur de 4,3 millions d'euros au global. Des chiffres loin de ceux de KickStarter, mais qui ne s'accompagnent cependant pas de polémiques liées à des financeurs lésés. « En janvier, nous avons reçu 600 propositions de projets, 75% ont été acceptés. Les projets refusés sont ceux qui sont à côté de la plaque : il s'agit de projets personnels, comme des photographes qui veulent financer un voyage, ou bien des démarches mal proportionnées, pas réalisables. » Pour aider les porteurs de projets, Ulule dispose d'une équipe d'accompagnateurs qui peut les conseiller pour l'optimisation de leur démarche ou l'établissement des récompenses. « Tous n'ont pas les mêmes besoins, mais nous avons une expertise qui peut être mise à disposition » commente Mathieu Maire du Poset. Comme toutes les plateformes de crowdfunfing, Ulule touche une commission sur les sommes récoltées par les projets financés, à hauteur de 8% : le service a tout à gagner à optimiser les projets exposés pour les rendre le plus viable possible.

Ulule se montre également attentif après le financement des projets, principalement du côté des porteurs : la plateforme développe des services de crowdsourcing, pour mettre d'éventuels partenaires en relation. Côté financeurs, si Mathieu Maire du Poset explique qu'Ulule garde un oeil sur la distribution des contreparties et la gestion des problèmes, il botte également en touche, ajoutant qu'en France, la plateforme n'est juridiquement pas responsable.

Un cadre juridique limité

« Le cadre juridique est classique : il y a un lien commercial qui se tisse entre le porteur du projet et son financeur. Si ce dernier ne reçoit pas la contrepartie que s'est engagé à lui donner le porteur du projet, alors il peut l'attaquer en justice » explique simplement Mathieu Maire du Poset. En effet, en France, il n'existe pas, pour l'heure, de cadre strict pour le financement participatif, qu'il cible les particuliers et les produits ou l'investissement dans une entreprise. Une situation inacceptable pour l'Association Financement Participatif France (AFPF), qui met en opposition la situation française avec celle des Etats-Unis, où le JOBS Act est en train de faire évoluer le marché, principalement côté entreprise - une démarche qui pourrait être amorcée en France dans le cadre du Pacte national pour la croissance de Fleur Pellerin, bien que ce dernier cible en premier lieu l'entrepreneuriat.

Actuellement fort peu cadré en France, le crowdfunding n'en reste pas moins un secteur complexe en matière de droit, ne serait-ce que pour les plateformes destinées à recueillir des participations de particuliers : un tableau mis en ligne par l'AFPF et concernant « des modèles de crowdfunding non régulés par le Code Monétaire et Financier » permet notamment de voir les écarts de protection de l'investisseur s'il participe à un projet avec contrepartie (Ulule, IndieGogo, KickStarter), ou à une coproduction (MyMajorCompany, Touscoprod). Des éléments en réalité difficiles à percevoir de prime abord, quand on décide de mettre la main au porte-monnaie.

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Aux Etats-Unis, certains porteurs de projets ayant levé des fonds sans aboutir ont déjà été attaqués en justice par des backers mécontents. L'un des cas les plus médiatisés est celui de Seth Quest, qui avait levé en mars 2011 pas moins de 35 000 dollars sur KickStarter, en vue de produire un support pour l'iPad. Mais son entreprise a fait faillite peu après, le laissant dans l'impossibilité de livrer le produit à ses investisseurs. L'un d'eux a alors déposé plainte : Seth Quest s'est retrouvé dans une position encore plus délicate, écopant d'une réputation de mauvais payeur qui l'a empêché de retrouver un emploi par la suite. Si l'entrepreneur remonte petit-à-petit la pente, il a tiré une leçon de cette expérience : « Quand vous échouez sur KickStarter, c'est un échec public. Les investisseurs peuvent vous donner un soutien massif, mais ils peuvent aussi vous détruire si vous échouez. » L'attaquant de Seth Quest, Neil Singh, un avocat de Phoenix, est d'accord pour dire qu'il s'agit plus « d'une idiotie que d'une fraude » de la part de Seth Quest : demander de l'argent pour un projet, c'est aussi prendre le risque qu'on réclame son remboursement s'il n'aboutit pas.

Le financement participatif, nouvel eldorado des entrepreneurs ?

Bien évidemment, les initiatives porteuses comme celles de Revolution Software, d'Obsidian, de la console Ouya, du chanteur Grégoire ou encore de documentaires comme celui dédié à The Pirate Bay sont autant d'exemples où le financement participatif a aidé au développement concret de projets qui auraient eu du mal à aboutir sans. Mais il faut raison garder, et avoir conscience que tous les projets n'aboutissent pas, malgré, parfois, une forte médiatisation.

Pour en revenir une fois encore à KickStarter, les chiffres récemment dévoilés par la plateforme mettent en avant que sur 82 000 projets présentés depuis 2009, 35 000 seulement ont été financés. Certains ont levé des sommes colossales, mais près de 68% des projets ont finalement été avortés. Du côté d'Ulule, le rapport est quasiment inversé, avec 62% de projets financés. Mais l'échelle n'est pas la même.

Des échecs relativisés...

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Dans la multitude des projets qui n'aboutissent pas en financement participatif, certains ont pourtant bénéficié de campagnes de promotion élaborées, ou bien ont été portés par des personnalités. Dans le premier cas, on peut citer le téléphone DECT de l'entreprise Urban Hello, qui a bénéficié d'une forte exposition durant le dernier CES de Las Vegas. Malgré de nombreux articles parus dans la presse, l'objectif de 100 000 livres sterling visé sur KickStarter n'a pas été atteint au tiers.

Pour Catherine Seys, co-fondatrice d'Urban Hello, cet échec est relatif : « Nous n'avons jamais mis tous nos espoirs dans KickStarter » nous explique-t-elle. On est sur un projet industriel, qui a de gros besoins de financement. « Si le projet sur KickStarter avait marché, ça nous aurait peut-être évité une levée de fonds supplémentaire auprès d'investisseurs. Ca aurait été pratique, mais ça ne nous aurait pas évité de devoir quand même chercher d'autres financements ailleurs » ajoute-t-elle.

En somme, du côté d'Urban Hello, se lancer sur KickStarter était une opportunité peu coûteuse, qui a seulement nécessité la création d'une structure en Angleterre, seul pays européen à disposer de sa version de la plateforme. « Qui ne tente rien n'a rien » ont décrété les fondateurs, qui se sont également lancé pour « tester la popularité du produit, même si la plateforme ne représente pas la totalité du marché ». Au final, il s'est avéré que combiné d'Urban Hello, peu compatible pour l'heure avec les Box US et donc un peu en avance, n'a pas beaucoup intéressé les Américains. A l'inverse, les Européens, qui auraient pu y trouver leur compte, ne sont pas encore suffisamment intéressés par le financement participatif pour avoir eu connaissance du projet.

Enfin, Catherine Seys estime que la stratégie ayant consisté à lancer le KickStarter durant le CES n'était pas bonne : « Nous avons lancé notre campagne le lendemain du CES Unveiled. Au début, nous avons bénéficié d'une grosse médiatisation mais, très vite, nous avons été noyés dans le flux des projets KickStarter. » Une expérience riche d'enseignements qui n'empêchera cependant pas Urban Hello de sortir son combiné, probablement aux alentours de septembre.

...d'autres cachés...

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Biphilia de Björk sur iPad
Si certains porteurs de projets relativisent l'échec d'une levée de fonds participative, d'autres préfèrent très rapidement y couper court, quitte à se chercher des excuses. C'est d'autant plus vrai quand le projet est porté par une personnalité : récemment, c'est la chanteuse Björk qui s'est heurtée à un succès très relatif de son projet, visant à porter son application/album Biophilia, initialement sortie sur iOS, sur Android et Windows 8. La chanteuse cherchait à récolter 375 000 livres (428 000 euros), mais au bout de 2 semaines, le compteur dépassait à peine les 15 000 livres. Le projet a alors été annulé, et la musicienne a expliqué, dans une lettre manuscrite, que le projet de portage était en réalité « trop complexe et trop onéreux » et que l'équipe de développement s'était montrée trop optimiste. La situation aurait peut-être été différente si le financement avait crevé le plafond au bout de 2 semaines de campagne...

Dans un autre registre, Chris Taylor, PDG du studio de jeux Gas Powered Games, s'est lui aussi frotté à une compagne très décevante sur KickStarter avec son projet Wildman. 4 jours avant la fin de la période de financement, le projet avait à peine récolté la moitié de la somme désirée, motivant Taylor à ne pas attendre que le couperet tombe : le chef de Gas Powered a lui-même annulé la campagne. Quelques jours après, le studio a réalisé un dégraissage de ses effectifs en raison de soucis financiers. Depuis, Gas Powered Games a été racheté par Wargarming.

Mais l'affaire KickStarter est restée en travers de la gorge de Chris Taylor : pour ce dernier, la plateforme de financement participatif est, en réalité, en train de s'essouffler, ce qui serait la raison de son échec : « C'est une loterie.Ce marché est vraiment très, très difficile. » a-t-il commenté lors d'une conférence s'étant déroulée à Hambourg début février. Les backers et les porteurs de projets en prennent également pour leur grade, Chris Taylor estimant que l'originalité des projets n'est pas récompensée. Mauvais perdant ?

... et d'autres en réelle difficulté

Si certains projets se relèvent, rebondissent ou accusent le coup, pour d'autres, l'échec d'un financement participatif s'apparente davantage à la fin du voyage : déjà cité dans ce dossier, le projet Day One de Pendulo Studios est actuellement au point mort après sa tentative de financement manquée sur GamesPlanet Lab. Le projet était pourtant prometteur, notamment en raison de l'expérience du développeur espagnol. Pour Pierre Forest, la situation s'explique par la difficulté actuelle de constituer une forte communauté autour d'un produit en France. « La seule plateforme actuellement capable de fédérer une communauté de donateurs aujourd'hui c'est KickStarter ». Mais Pendulo n'a pas la même popularité en Europe qu'aux USA : un tel projet n'aurait peut-être pas mieux abouti sur KickStarter. Actuellement, Day One est en stand-by : « C'est un jeu qui parle de la crise, et les développeurs sont directement concernés » souligne tristement Pierre Forest.

Rien ne sert de courir...

En somme, un projet original, bien médiatisé et/ou porté par une personnalité n'a pas de garantie de réussite : pour fédérer une communauté, il faut constituer un tout efficace, et surtout pallier l'absence du financeur, du business angel, de l'éditeur, du producteur, bref, de l'entreprise qui a apporter de l'argent pour que le projet se fasse. Pour Pierre Forest, l'un des principaux problèmes des projets qui échouent, c'est qu'ils ne parviennent pas à remplir le vide constitué par l'absence de cet acteur primordial au profit de particuliers qui vont investir individuellement dans le projet. « Tous les studios qui veulent supprimer l'éditeur deviennent en réalité l'éditeur. Et quand ils ne mettent pas les ressources et les compétences nécessaires pour ça, ça peut mal se passer » explique -t-il, dans le contexte du jeu vidéo. Mais la problématique est la même dans toutes les situations : gérer une grosse rentrée d'argent au sein d'un projet n'est pas chose aisée. « Quand un intermédiaire fait bien son boulot, la question est de savoir si on peut le supprimer et faire son travail à sa place. C'est du temps, des connaissances et des ressources. Certains le font bien et pas d'autres » conclut-il.

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La fourchette HAPIfork

D'autres porteurs de projet ont choisi de s'entourer pour passer par la case crowdfunding : c'est le cas de l'inventeur Jacques Lépine, dont la fourchette intelligente HAPIfork a fait sensation au CES. « C'est un outil neuf et j'avais une vision franco-française : c'est en me rapprochant de collaborateurs américains qu'on a tout de suite intégré le financement participatif à notre feuille de route » nous explique-t-il, ajoutant, philosophe, « Chacun fait ce qu'il sait faire, et délègue ce qu'il ne sait pas faire. » Un postulat qui explique aussi pourquoi la campagne de crowdfunding autour d'HAPIfork n'a pas commencé durant le CES : elle débutera en mars seulement. Initialement prévue sur KickStarter, elle devrait finalement se faire sur IndieGogo, autre plateforme internationale, qui aurait montré un intérêt certain pour la fourchette de Jacques Lépine.

« Je ne pense pas que ce soit la plateforme en elle-même qui attire les gens » conclut Jacques Lépine. Un point de vue partagé par tous les entrepreneurs et acteurs du secteur du crowdfunding interrogés dans le cadre de ce dossier : un projet porteur, réaliste et structuré a plus de chance d'attirer le chaland qu'une promesse difficile à tenir, mais bien présentée et représentée. Et le public adepte du financement participe devient, face à la pléthore d'offres aujourd'hui proposées, un fin gourmet. En somme, « rien ne sert de courir, il faut partir à point », un conseil qui vaut d'ailleurs aussi bien pour les entrepreneurs que pour les investisseurs en herbe.
Audrey Oeillet
Par Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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