Alors que le téléchargement illégal était en déclin depuis 2017 sur notre continent, la tendance semble s'être inversée entre 2021 et 2022. En cause : un intérêt accru pour les compétitions sportives sur les plateformes de piratage et… pour les œuvres éditoriales.
L'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) vient de publier une étude détaillée sur l'évolution du streaming et du téléchargement illégal au sein de l'UE et au Royaume-Uni. En contradiction avec l'analyse de l'ARCOM, sa conclusion est sans appel : la fin du piratage n'est pas pour demain. En effet, dans les 28 pays étudiés, la pratique a augmenté de 3,3 % en un an.
Pourtant, les plateformes de streaming légales sont devenues plus que populaires, et l'accès à la culture sur le Web s'est démocratisé. Il semblerait donc que les bonnes vieilles habitudes soient encore bien ancrées dans le paysage numérique, et que la bataille menée par les régulateurs soit loin d'être gagnée.
Les grandes victimes du moment : les programmes sportifs
Il est loin, le temps où les fichiers mp3 et les films étaient les produits culturels les plus piratés sur Internet. À partir de 2020, alors que la pandémie de COVID-19 battait son plein, les Européens s'en sont détournés de plus en plus. Au point qu'à la fin de l'année dernière, ces deux médias ne représentaient respectivement plus que 11 et 6 % des contenus illicites dans la région.
Pour savoir ce qui intéresse vraiment les Européens aujourd'hui, il faut se pencher sur les médias télévisuels. Dans ce domaine, le piratage a connu une croissance de 15 % en 2022, atteignant une part de 48 % de l'ensemble des visionnages illégaux. Si les séries télévisées sont évidemment bien représentées dans cette catégorie, les films d'animation et les téléfilms sont également concernés.
Toutefois, c'est l'IPTV sportive qui fait ici l'objet d'un intérêt particulier. Bien que l'EUIPO ne l'observe de près que depuis 2021, son piratage a augmenté de 30 % en un an et représenterait l'une des principales tendances à la hausse, en particulier lors des championnats et autres grands événements.
Les Français sont parmi les champions en la matière, puisque les diffusions non autorisées représentent 34 % du mix de contenus TV illégal dans l'Hexagone. Il ne faut pas chercher bien loin pour en trouver les raisons, la fragmentation de l'offre légale n'y étant certainement pas étrangère.
Une arrivée fracassante des mangas et des applications mobiles dans les statistiques
Les autres médias en vogue sont les œuvres éditoriales, qui représentaient 28 % des contenus piratés en 2022 dans l'Union européenne. Cela les place en deuxième position dans le classement de l'EUIPO. Le manga est le genre le plus représenté dans cette catégorie (60 %), les livres audio et les e-books constituant la majeure partie du reste. Il est à noter qu'en France, où les bandes dessinées japonaises sont particulièrement appréciées, cette catégorie a atteint le même niveau que les contenus télévisuels à la fin de l'année 2022.
Enfin, le piratage de logiciels connaît une lente progression. C'est notamment le cas des jeux et des applications pour smartphones et tablettes, dont la part a doublé depuis le début de l'année 2021. À ce rythme, selon le rapport, ils pourraient « bientôt être au même niveau que les logiciels de bureau ».
À l'instar des diffusions sportives, ces deux catégories ne sont étudiées par l'EUIPO que depuis 2021. Comme l'organisation ne fournit aucune donnée avant cette période, leur introduction dans les statistiques participe à l'augmentation globale du piratage en ligne depuis 2017, et les œuvres éditoriales en sont les principales responsables.
Un recours accru au streaming
En matière de classement par pays, les États baltes sont tous les trois les plus mauvais élèves, avec l'Estonie en tête. En moyenne, ses habitants ont accédé aux sites et plateformes responsables de piratage près de 25 fois par mois. Ce chiffre est à comparer à une fréquence moyenne de dix fois par mois et par personne dans l'Union européenne et au Royaume-Uni. Les champions du bon comportement sont l'Italie, la Pologne et l'Allemagne, avec des chiffres d'environ 7,5.
Par ailleurs, le peer-to-peer et le téléchargement direct sont beaucoup moins populaires qu'auparavant, et représentent aujourd'hui 32 % des méthodes utilisées pour accéder à des contenus illégaux. Quant au streaming, il est le grand responsable de l'augmentation du piratage en ligne et constitue 58 % des usages. Le travail des régulateurs n'y est sûrement pas étranger, puisque les torrents figurent parmi les principales cibles d'organismes tels que l'ARCOM.
Un phénomène aux multiples causes
Pour Christian Archambeau, directeur exécutif de l'EUIPO, « les atteintes au droit d'auteur à l'ère numérique demeurent une préoccupation très grave et une menace directe pour les industries créatives en Europe ». Si les plateformes de streaming telles que Spotify et Netflix ont certainement eu un impact positif sur le piratage, celui-ci est donc toujours bien présent. La tâche est immense, et il serait encore « essentiel de comprendre les mécanismes sous-jacents du piratage afin d'adopter des politiques et des mesures efficaces qui contribuent à l'enrayer », ajoute le responsable de l'agence.
D'autant que les causes du piratage sont multiples. Outre l'accessibilité des contenus, d'autres données doivent être prises en compte. Le rapport souligne ainsi que « des facteurs économiques et sociaux tels que le PIB par habitant, l'inégalité des revenus ou la proportion de jeunes dans la population peuvent avoir une incidence ». Eh oui, à lui seul, le blocage systématique ne suffira sans doute jamais.
Source : EUIPO