Les humains qui prennent le chemin du retour sont souvent changés par leur expérience © NASA
Les humains qui prennent le chemin du retour sont souvent changés par leur expérience © NASA

Ce 27 septembre, trois astronautes sont revenus de l'ISS, terminant un voyage de très longue durée de 370 jours. Un record qui demande toutefois beaucoup aux participants et nécessite un suivi particulier sur le plan médical, psychologique, neurologique… Pas facile de récupérer !

Sergei Prokopiev, Dmitri Petelin et Francisco Rubio sont rentrés ce 27 septembre de leur long voyage en orbite. Il l'avait démarré le 21 septembre 2022 avec une autre capsule Soyouz (MS-22), laquelle avait souffert l'hiver durant d'une fuite de liquide de refroidissement.

En février, les agences russes et américaines (Roscosmos et la NASA) annonçaient que Soyouz MS-23 décollerait à vide pour rejoindre la Station spatiale internationale, tandis que les trois astronautes resteraient là-haut pour une mission d'un an plutôt que de 6 mois. Ce n'est pas une première, bien que la durée soit un record sur l'ISS, mais les vols longs ont quelques particularités.

L'astronaute américaine Jessica Meir travaille au sein de l'ISS sur une expérience mesurant la perte de densité osseuse sur des souris (le processus est plus rapide chez elles que chez les humains) © NASA
L'astronaute américaine Jessica Meir travaille au sein de l'ISS sur une expérience mesurant la perte de densité osseuse sur des souris (le processus est plus rapide chez elles que chez les humains) © NASA

Un corps qui change

Lors de l'un des derniers échanges avec le centre de contrôle avant son retour de l'ISS, l'astronaute américain Francisco Rubio s'est vu rappeler les consignes de sécurité au sein de la capsule Soyouz. Son compatriote (et ancien titulaire d'un record de durée en orbite) Mark Vande Hei lui a notamment conseillé de ne pas ouvrir la bouche afin de ne pas se mordre la langue, et surtout de ne pas lever la tête pour observer le sol depuis le hublot, pour ne pas se cogner avec son casque lors de l'impact final. À quoi Rubio a répondu que sa colonne vertébrale s'étant trop allongée, il n'avait de toute façon pas de marge de manœuvre dans le siège baquet de Soyouz. Il ne risquait donc pas de bouger.

C'est un effet observé depuis les années 70, lorsque l'humain est en orbite suffisamment longtemps, comme il n'est plus en appui vertical, son corps change. Il se courbe, et il… grandit, les articulations de la colonne devenant plus lâches. Toutes les articulations de la position debout sont concernées, de la nuque (les astronautes de retour ont du mal à « tenir leur tête ») jusqu'aux hanches et genoux. Seules les chevilles sont relativement épargnées, car les astronautes utilisent leurs pieds pour s'accrocher aux parois de l'ISS, en les passant dans des sangles ou des scratchs. L'impesanteur, surtout lorsqu'elle s'applique sur des périodes aussi longues, a des centaines d'effets sur le corps.

Notez les lunettes de Francisco Rubio, mais aussi son visage un peu "gonflé", résultat d'un vol long © NASA

Les trois effets médicaux les plus courants sont l'atrophie musculaire, les changements de densité osseuse et les variations sur les fluides corporels. Mais il y en a d'autres qui font l'objet d'un suivi régulier, comme l'exposition aux radiations qui est plus importante que sur Terre, les changements d'alimentation et de régime, les effets psychomoteurs et psychologiques, et même les pathologies terrestres « classiques ».

N'oublions pas que s'ils sont dans une excellente condition physique, les astronautes sont dans leur grande majorité des quadras et quinquagénaires, tranches d'âge dans lesquelles il est plus régulier de voir apparaître certaines maladies, à des stades précoces ou non.

Des altérations pas vraiment pratiques

Si les effets des vols spatiaux longs les plus connus sont bien documentés, il ne faut pas oublier non plus que le nombre total de patients n'excède pas les quelques dizaines, sur une période qui s'étend à présent sur plus de 40 ans. Sur les 600 personnes (un peu plus) ayant dépassé la barre des 100 kilomètres d'altitude, une centaine seulement ont dépassé les 300 jours passés en orbite.

Néanmoins, plusieurs ennuis sont inévitables, à commencer par les problèmes osseux et musculaires. N'étant plus debout, le corps réorganise l'afflux sanguin dans d'autres parties, et certains muscles s'atrophient (tout le système moteur, jambes, quadriceps, maintien du dos, fessiers, etc.) tandis que les os sont plus fragiles. C'est l'ostéoporose spatiale.

Pour lutter contre ces deux conditions, les astronautes font du sport environ 2 heures par jour avec interdiction de sauter des séances, en particulier dans les mois qui précèdent leur retour. Et il ne s'agit pas que de s'asseoir sur le vélo elliptique ! Plus les séances sont variées, plus les groupes musculaires sont stimulés, et meilleure sera la (re)vascularisation.

L'astronaute Karen Nyberg mesure la pression oculaire intracrânienne avec cet appareil © NASA

L'ostéoporose, de son côté, est partiellement réversible pour les astronautes, mais la régénération osseuse présente parfois des altérations pérennes (grosso modo, des structures osseuses plus fragiles). Plusieurs études sont en cours pour mieux comprendre les procédés afin de préparer des médicaments et techniques, en amont de la perte osseuse et en aval pour le travail de réadaptation.

Quelle que soit la condition médicale des astronautes à leur retour de toute façon, ils ont en général entre 45 jours et 2 mois de rééducation complète pour pouvoir marcher et courir, mais aussi parler (eh oui, les glandes salivaires changent aussi) et tenir des objets sans les lâcher. D'autres tâches qui peuvent paraître triviales nécessitent parfois un peu d'accompagnement : gare à l'accident de la route pour un astronaute qui vient de passer un an ou plus loin de toute circulation.

Une autre pathologie très fréquente concerne la dégradation de la vue. La pression intracrânienne est en effet plus élevée en impesanteur (le sang ne « descend pas ») et finit par bousculer le fragile équilibre du système oculaire. Il y a malheureusement peu d'expédients… Une fois par mois environ, les astronautes testent leur vue grâce à un dispositif spécialisé. Et comme la dégradation attendue est généralement bien documentée, certains bénéficient dès leur voyage en orbite de montures adaptées.

D'autre part, les astronautes ont des cycles de sommeil perturbés, mais ils le ressentent surtout dans les premières semaines des voyages spatiaux, à cause des cycles jour/nuit qui n'ont aucun sens sur la station (dans les hublots, le cycle jour/nuit dure 90 minutes). L'alimentation, l'exercice et les changements d'éclairage de nuit aident à trouver un rythme, même s'il ne faut pas oublier qu'une station est un environnement bruyant, entre les ordinateurs, les aérations, les filtres, les mécanismes de refroidissement, les expériences, les contacts radio…

La Station spatiale internationale lorsque ses astronautes dorment. Mais ça continue de fonctionner © NASA / ESA

La neurologie et les habitudes

En orbite, les réflexes changent. L'orientation dans l'espace aussi, et parfois même la perception de la gauche et de la droite, ou des distances. En effet, notre cerveau pense « avec pesanteur ». Lorsqu'on nous envoie une balle par exemple, on l'attend plus basse que sa position, car on sait qu'elle va tomber. En orbite, rien de tout ça, et la période d'adaptation (dans les deux sens) peut être très lente.

Plusieurs expériences sur l'ISS tentent de quantifier ces changements de perception dans l'espace, notamment l'imposant banc d'essai GRIP et son cousin GRASP. La bonne nouvelle, c'est qu'a priori, il ne s'agit pas de changements sur le long terme, tout est réversible, même si la fatigue prend une large place à la fin du voyage.

Eh oui, il faut aussi penser que l'ISS est un environnement de travail. Passer 370 jours là-haut revient à aligner 53 semaines en mission, avec généralement un seul jour de repos (le dimanche), au cours duquel les astronautes font tout de même des tâches de fond, du sport et quelques activités de maintenance. La fatigue de long terme s'accumule sur les organismes, et il faut d'ailleurs faire preuve d'une attention particulière pour ne pas accumuler les erreurs et les petites blessures. Francisco Rubio, qui est aussi médecin, estimait cette semaine qu'il lui faudrait entre 2 et 6 mois de récupération pour retrouver la forme et évacuer la fatigue.

L'expérience GRASP mesure les différences de perception en 3D dans un environnement contrôlé © NASA / ESA

Un isolement relatif, mais prolongé

Passer 370 jours en orbite fait de vous une petite légende dans le monde astronautique. Mais passer un an dans une station spatiale, c'est aussi rater un an d'événements avec son mari ou sa femme, ne pas voir ses enfants grandir, passer toutes ses soirées avec les mêmes amis et collègues. Sans douche. Sans alcool, sans une grande partie des fruits frais, sans crêpes (mais si, les vraies crêpes) et sans raclette, sans aller se promener, avec ou sans son chien. Sans s'énerver ou crier, sans relation intime ou sexuelle, et de préférence sans tomber amoureux d'un ou d'une de ses collègues. Sans canicule, sans rhume des foins, mais sans hiver, sans l'odeur de l'herbe mouillée, sans orage, dans l'environnement aseptisé et régulé de la station.

Certes, il est toujours possible de prendre contact avec la famille et les amis à travers la vidéo le soir, ou lors de créneaux spécifiques, mais c'est un isolement particulier. D'autant que Dmitri Petelin et Francisco Rubio ne pouvaient pas vraiment savoir comment cela allait leur peser psychiquement, puisqu'ils effectuaient leur premier voyage spatial. Pour cela, le suivi mental, à défaut de préparation spécifique (ils pensaient partir pour 6 mois) est un élément essentiel. Et il vaut mieux ne pas avoir de problème conjugal. En 2019, l'ex-compagne d'Anne McClain avait accusé cette dernière d'espionner ses comptes depuis son accès internet sur l'ISS, forçant la NASA à éplucher les relevés de connexion.

L'équipage peu après l'arrivée de Soyouz MS-22. Les humains autour, il vaut mieux les apprécier, il n'y en a pas souvent d'autres © NASA

Un bon entraînement pour plus tard ?

Il est communément admis que pour un aller-retour vers Mars, les humains devront passer au moins une année en trajet (et plus probablement 18 mois, hors période sur Mars). Aussi, les vols très longs sont considérés comme des bases médicales plus ou moins fiables pour représenter ces futures aventures. Grâce au suivi médical, il est possible de mieux comprendre leurs effets sur le corps, et les choses seront de mieux en mieux documentées au fur et à mesure que plus d'astronautes accepteront la tâche.

La fameuse étude « twin study » de la NASA en 2015 avec le vol de Scott Kelly (son frère jumeau, astronaute lui aussi, mais resté sur Terre, faisait office de mesure étalon) avait mis en évidence plusieurs effets peu connus auparavant, comme des altérations de l'ADN (peu significatives, mais non réversibles). Ces données peuvent être croisées avec celles des simulations terrestres, les « habitats martiens » de moyenne et longue durée, ou les missions scientifiques aux pôles.

Toutefois, même les missions longues dans l'ISS ont des limitations pour imiter les futurs très longs trajets. Si l'un des trois membres de Soyouz MS-22/23 avait eu un problème majeur, l'équipage (après consultation des centres de contrôle) aurait pu se désamarrer de la station pour rentrer sur Terre avec un préavis relativement court. Quelques orbites, au pire, le temps d'organiser leur récupération et leur rapatriement.

Mais en voyage autour de la Lune, le temps de retour est déjà un challenge plus important (entre 3 et 7 jours), tandis que si vous voyagez vers Mars, il n'y a même pas de possibilité de retour avant le créneau prévu. L'isolement sera donc un paramètre beaucoup plus important, tant sur le plan de la santé que de la logistique, ou même de la sociabilité. Les 3 astronautes rentrés ce 27 septembre ont côtoyé plus de 15 autres personnes lors de leur mission au sein de la station. Des astronautes vers la planète rouge n'auraient pas cette possibilité.

"J'ai mal aux genoux, au dos, j'ai envie de vomir, et maintenant, on m'envoie faire une séance de longe côte." Heureusement, Hollywood ne connaît pas la fatigue (au fait, vous avez vu cette vague ?) © Warner Bros.

Enfin, il est théorisé depuis un certain temps qu'une partie des effets corporels de l'impesanteur pourraient être régulés par l'usage de modules simulant la gravité par rotation (une piste utilisée dans de nombreux récits de science-fiction). Pour l'instant, des limitations techniques et surtout budgétaires n'ont pas permis d'en tester les bénéfices.

Les longues missions spatiales resteront donc encore pour un temps des expériences éprouvantes. La prochaine est déjà en cours, avec les cosmonautes Oleg Kononenko et Nikolai Chub, qui ont décollé le 15 septembre et ne devraient pas revenir avant septembre 2024. Kononenko en est à sa 5e mission, les 4 premières ont duré chacune environ 6 mois, et il devrait finalement cumuler plus de 1 000 jours en orbite. Comme quoi, malgré les difficultés et la réadaptation, certains s'y plaisent !