Ce supercalculateur sera utilisé comme aide à la conception de médicaments ou pour analyser des données climatiques © 1st footage / Shutterstock
Ce supercalculateur sera utilisé comme aide à la conception de médicaments ou pour analyser des données climatiques © 1st footage / Shutterstock

L'année prochaine, notre beau pays accueillera un nouveau supercalculateur. Ce dernier sera baptisé Alice Recoque, en l'honneur d'une pionnière trop peu connue de l'informatique française.

Si l'on tourne volontiers le regard vers les gros poissons de la tech, comme xAI et son futur supercalculateur, n'oublions pas que nous en avons également quelques-uns en notre possession en France. L'IDRIS (Institut du développement et des ressources en informatique scientifique) en possède un baptisé Jean Zay, nous avons aussi Adastra, installé au CINES (Centre Informatique National de l'Enseignement Supérieur) ou encore Jules Verne au TGCC (Très Grand Centre de Calcul). Pour le moment, aucun supercalculateur de l'Hexagone ne porte de nom féminin, mais cela va changer !

Le futur Alice Recoque, sera capable d'exécuter 1 Exaflop/s et symbolisera donc la reconnaissance tardive, mais méritée de la contribution de cette informaticienne au monde scientifique et technologique. Financé par le gouvernement français et néerlandais ainsi que par l'entreprise commune européenne EuroHPC, il sera aussi localisé TGCC du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) à Bruyères-le-Châtel dans l'Essonne.

Une visionnaire à l'ère des mini-ordinateurs

Née en 1929 à Cherchell, à l'ouest d'Alger, Alice Recoque entame sa carrière à une époque où le vocable « ordinateur » demeure encore inconnu du lexique courant. Diplômée de l'École supérieure de physique et de chimie industrielle, elle s'engage par la suite au sein de la Société d'électronique et d'automatisme, contribuant ainsi à l'avènement des premières machines computationnelles françaises. Marion Carré, cofondatrice et présidente d'Ask Mona, une startup visant à favoriser l'accès à la culture via l'IA, lui a rendu hommage dans un livre publié cette année baptisé Qui a voulu effacer Alice Recoque ?

Sous l'égide d'Alice Recoque, le Mitra 15, joyau miniaturisé de l'informatique, voit le jour. Fruit du plan Calcul, ambitieuse initiative gaullienne visant à garantir l'autonomie technologique de l'Hexagone face à la suprématie américaine, cet ordinateur compact se révèle rapidement polyvalent. Dès 1971, il orchestre le guidage de missiles, veille sur la sécurité des centrales nucléaires et participe activement à diverses expérimentations scientifiques. Marion Carré souligne pertinemment que cette dénomination du futur supercalculateur permettra « de mettre en lumière des pionnières françaises pour inspirer et faire émerger de nouvelles générations de femmes scientifiques et informaticiennes ».

Au fil de sa carrière, Alice Recoque s'implique dans une myriade de projets novateurs. Sa contribution s'avère particulièrement significative dans l'élaboration du CAB500, précurseur révolutionnaire des ordinateurs de bureau interactifs, mis au point en 1959. Cette réalisation d'envergure, fruit d'une collaboration étroite avec Françoise Becquet, bénéficie de l'expertise d'André Richard et de François-Henri Raymond. Parallèlement, elle se penche sur les subtilités des mémoires à tores de ferrite, composants essentiels du CAB1011, un dispositif sophistiqué déployé l'année suivante au sein du service cryptographique du SDECE.

Par la suite, son génie s'exprime dans le développement du calculateur industriel CINA. Elle assume également la codirection du projet ambitieux CAB 1500, une innovation remarquable intégrant des machines à pile dotées d'un ou plusieurs compilateurs Algol, dans leurs versions standard ou étendues. Ainsi, à travers ces réalisations successives, Alice Recoque a incontestablement façonné avec d'autres le paysage français de l'informatique naissante.

Une pionnière comme il en existe tant qui sont passées sous les radars © magazine01 informatique

Pionnière de l'intelligence artificielle avant l'heure

L'année 1985 marque un tournant dans la carrière d'Alice Recoque lorsque Bull lui confie les rênes de sa division « Intelligence artificielle ». Elle repoussera alors les frontières de ce domaine, jusqu'alors confiné aux arcanes de la programmation, pour y intégrer l'étude et la réplication des comportements humains. Cette entreprise ambitieuse, menée de concert avec des institutions telles que l'INRIA, mobilise une équipe de plus de 200 personnes sous sa houlette. Ses efforts aboutissent à l'éclosion de technologies pionnières en matière de génération de texte et de traduction automatique.

Lors d'un entretien accordé au Figaro en 2018, Recoque a confié au journal : « C'est l'une de mes grandes fiertés d'avoir orienté les recherches du groupe autour de ce sujet dont on voit aujourd'hui la portée ». Sa clairvoyance ne s'arrête pas là : elle avait anticipé les implications sociétales de l'IA et plaidait déjà pour l'établissement de balises éthiques encadrant ces avancées technologiques. Dès la fin des années 1970, elle participa d'ailleurs activement à la création de la CNIL, soulignant l'urgence de protéger les libertés individuelles face à l'essor du numérique.

Elle meurt le 28 janvier 2021 à Balainvilliers, et comme beaucoup de femmes françaises dans le domaine de l'informatique ou de la tech, la reconnaissance de ses travaux fut assez limitée par rapport à l'ampleur de ses contributions. Jacqueline Bloch, Françoise Soulie-Fogelman, ou Michèle Sebag, tout autant de génies dont les apports restent encore assez méconnus du grand public. Alice Recoque fait bel et bien partie de cette catégorie, mais au moins, son nom restera gravé sur l'un des supercalculateurs les plus puissants de l'Hexagone.

Source : Le Figaro