Pour répondre au fléau du piratage de la Ligue 1 made in DAZN, les experts en cybersécurité sont unanimes : les mesures techniques ne suffiront pas. La seule vraie réponse pourrait n'être que commerciale.

Une publicité pour les matchs de Ligue 1 sur DAZN © Henry Saint John / Shutterstock
Une publicité pour les matchs de Ligue 1 sur DAZN © Henry Saint John / Shutterstock

Le piratage des matchs de Ligue 1 reste un casse-tête pour les diffuseurs et les autorités. Malgré les efforts déployés, dont le fameux filigrane comme dernier en date, les experts en cybersécurité estiment qu'une solution purement technique est illusoire. Entre blocage DNS, VPN et Telegram, la course entre pirates et ayants droit nous paraît sans fin. Pourtant, des pistes existent pour réduire l'ampleur du phénomène, mais elles sont à ce stade plus commerciales que techniques. Aux Assises de la sécurité à Monaco, nous sommes allés à la rencontre d'experts à l'avis bien tranché sur la question.

Contre le piratage de la Ligue 1, la technique ne suffira pas

Sur le sujet, Benoît Grunemwald, expert cybersécurité chez ESET, est catégorique : « Concrètement, on ne peut pas techniquement lutter contre le piratage. Il n'y a aucune solution technique qui tient la route face aux motivations des pirates et au volume des contenus. » Selon lui, le combat est vain, presque comparable à celui mené contre les pirates informatiques. « Nous, on le voit tous les jours avec les cybercriminels. [...] On passe notre temps à les suivre, à essayer d'anticiper, à essayer de bloquer. Mais au final, comme pour le piratage, il y a toujours un nouveau moyen qui émerge contre lequel il faut se mettre à jour. »

Les mesures mises en place, comme le blocage des DNS par les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), s'avèrent au final peu efficaces face aux utilisateurs les plus déterminés. Romain Quinat, directeur marketing de Nomios, compare la situation au « jeu du gendarme et du voleur », soulignant que le problème survient « quand ça devient un système absolument généralisé ». Il ajoute : « On parle d'IP et de DNS constamment, mais la solution n'est pas là. Moi, je pense qu'il faut que ça devienne tellement inconfortable pour les gens qui regardent. »

Les experts s'accordent sur un point : la solution n'est pas uniquement technique. Benoît Grunemwald détaille : « Entre le moment où vous trouvez le canal illégal ou la diffusion illégale et le moment où les forces de l'ordre peuvent agir et faire en sorte qu'il ou elle soit bloqué, vous tombez sur un délicat délai qui n'est pas le délai police-justice. » Ce décalage temporel rend la lutte particulièrement complexe, surtout pour des événements en direct, comme les matchs de football et plus particulièrement la Ligue 1.

Et si la solution venait de DAZN et d'une offre commerciale… moins chère ?

L'hypothèse de Benoît Grunemwald est que la clé réside dans une « approche utilisateur qui serait plus accessible ». Il cite l'exemple du piratage de jeux vidéo : « Il y a eu moins de piratage quand les jeux étaient moins chers, plus accessibles, notamment avec des versions gratuites. » Cette stratégie, qui a fait ses preuves dans d'autres secteurs, pourrait être transposée au football. DAZN s'est timidement lancée avec une période d'essai gratuit de 7 jours.

DAZN a lancé son essai gratuit de 7 jours © DAZN
DAZN a lancé son essai gratuit de 7 jours © DAZN

Romain Quinat abonde dans ce sens : « Il faut imaginer que les gens sont prêts à payer... pour de l'IPTV. Je pense qu'il faut juste que ce soit moins cher. Et pour moi, la meilleure façon de lutter, c'est que ce soit abordable. » L'expert critique au passage la stratégie de DAZN, estimant que la plateforme britannique aurait dû « analyser le prix que les gens sont prêts à payer », avant de se lancer. « Normalement, on analyse le prix que les gens sont prêts à payer. [...] DAZN s'est lancée avant de trouver un public. Je pense que si l'abonnement était moins cher, le service aurait mécaniquement plus d'abonnés. »

Nos deux spécialistes insistent sur l'importance d'une offre légale attractive. Le spécialiste cyber d'ESET fait le parallèle avec la stratégie du streaming musical : « C'est effectivement le principe avec le piratage de la musique. [...] À partir du moment où vous avez une offre légale et payante qui est raisonnable et qui correspond à un besoin, finalement vous allez grandement diminuer le piratage. » Il cite notamment l'exemple du Français Qobuz, qui propose « des abonnements qui vont varier en fonction de l'utilisateur, du consommateur, de sa façon de consommer la musique. »

Le défi des plateformes et la répression

La popularité de Telegram comme canal de diffusion illégale pose évidemment problème, et ce bien malgré l'arrestation de Pavel Durov en France. Seule une action coordonnée de plusieurs pays pourrait éventuellement faire évoluer la situation : « Il y a un moment où la pression sera, à mon avis, assez forte pour qu'il y ait une modification de comportement au sein de Telegram », parie Benoît Grunemwald. Et ce dernier de poursuivre : « C'est une action collective de pays qui fera que la donne changera, et non la volonté d'un pays de façon unilatérale. »

Romain Quinat, lui, insiste sur l'aspect juridique : « L'enjeu, il est presque plus juridique que technique. » Il évoque alors l'utilisation de filigranes (watermarks) pour identifier les sources de piratage, mais estime qu'il est déjà « trop tard », une fois la diffusion effectuée. « La trace permet aussi d'aller faire peur à la personne qui l'a fait. Parce que tracer avec un code, le watermark mis en place par DAZN, c'est une solution, mais à ce moment-là, il est déjà trop tard, en fait. Car la diffusion a déjà eu lieu. » Une fois encore, nos experts sont sur la même longueur d'onde.

Un panneau des Assises 2024 © Alexandre Boero / Clubic

Ils sont aussi en phase sur la nécessité de sanctions dissuasives. Romain Quinat suggère : « Si on donne à la justice les moyens de vite identifier le streamer et de plus lourdement le sanctionner, avec une peine suffisamment dissuasive, peut-être que les gens arrêteront de diffuser aussi. » Benoît Grunemwald, quant à lui, rappelle que la lutte sera toujours « en dents de scie », avec des périodes de baisse du piratage suivies de nouvelles techniques de contournement.

Sur le sujet de la lutte contre le piratage de la Ligue 1, on doit retenir que si les solutions techniques ont leurs limites, une combinaison d'offres commerciales attractives, de mesures juridiques dissuasives et d'actions coordonnées au niveau international pourrait permettre de réduire significativement l'ampleur du phénomène. Reste à voir si les acteurs du football français sauront relever ce défi complexe dans les années à venir.