Live Japon : tout déraille, sauf les Shinkansen

Karyn Poupée
Publié le 17 avril 2011 à 09h47
Il devait être la vedette high-tech du mois de mars, venait tout juste d'être mis sur les rails, allait doper le tourisme dans la région du Tohoku (nord-est), jusqu'à la préfecture d'Aomori. Las, le surnommé Hayabusa, nouveau modèle de train à grande vitesse (Shinkansen) japonais est en partie stoppé à cause des dégât considérables provoqués par la pire catastrophe du Japon depuis la guerre, le séisme et le tsunami du 11 mars (plus de 28 000 morts et disparus). Pour autant, même si la vie de la population nippone a basculé à cet instant, que nombre d'activités sont désorganisées, les rames qui circulaient à vive allure peu avant le moment critique n'ont pas déraillé. Elles se sont arrêtées automatiquement, grâce à des technologies de pointe dont se félicitent les surnommés "otaku du chemin de fer", des obsédés du rail qui n'ont d'ailleurs pas d'yeux que pour les trains (lisez le manga de Taku Nishimura, alias Jean-Paul Nishi).

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Le 11 mars à 14H46, le nord-est du Japon, Tokyo compris, était violemment secoué par un séisme de magnitude 9 dont l'épicentre se situait au large des côtes du Pacifique. Neuf secondes avant que les premières secousses ne soient ressenties et une minute dix avant les plus violentes, les Shinkansen du Tohoku ont automatiquement freiné, alertés par un système de détection des séismes qui équipe toutes les voies. Il y avait alors 27 trains pleins en circulation à grande vitesse, tous se sont arrêtés, sans dérailler.

La compagnie JR Higashi Nihon (JR East) a installé il y a bien des années déjà des moyens de détection de secousses telluriques, améliorés à diverses reprises. Le dispostif est basé sur des capteurs disposés le long des côtes et d'autres à proximité des voies, le tout étant complété par les informations délivrées par l'agence de météorologie nippone. L'ensemble permet de capter très tôt les premières ondes générées par des secousses telluriques, les signes avant-coureurs qui précèdent les trépidations destructrices d'un autre type. Grâce à la vitesse de transmission des données sur les réseaux à haut débit, plus rapide que les ondes elles-mêmes, ces informations précoces sont reçues par les rames en circulation qui sont automatiquement ralenties.

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C'est grosso modo le même principe qui est utilisé pour alerter les entreprises, médias et particuliers de la survenue probable de secousses dans des zones précises. C'est aussi grâce à ces signaux que les dix réacteurs des centrales nucléaires de Fukushima (Fukushima Daiichi et Fukushima Daini) ont été mis à l'arrêt avant le tsunami, de même que ceux d'Onagawa et Tokai. S'il n'y avait d'ailleurs eu que le séisme, les groupes électrogènes n'auraient pas été noyés à Fukushima Daiichi et l'on ne déplorerait pas aujourd'hui d'un accident atomique majeur.

Ces derniers jours, compte tenu du nombre impressionnant de violentes répliques (dont une partie sont fortement ressenties à Tokyo), nous avons pu juger sur pièce de l'intérêt de ce genre de système d'alerte, quasi unique. Bien entendu, cela reste à perfectionner mais lorsque le mobile se met soudain à hurler comme une sirène, l'on sait que le sol ne va pas tarder de trembler, à moins qu'il n'ait déjà commencé.

Les moyens techniques et ferroviaires nippons, durement mis à l'épreuve à l'heure actuelle, ravissent les quelque 2 millions de Japonais passionés par les trains, les fameux "tetsudo otaku" ("férus du chemin de fer"). Sans atteindre ce stade monomaniaque, plusieurs autres millions de Nippons manifestent aussi un intérêt marqué pour la vie du rail nippon, y compris des filles, au point d'ailleurs que parmi les jeux vidéo les plus populaires depuis des années figurent les simulations de conduite de locomotive et que les demoiselles ne sont pas les dernières à s'y adonner.

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Les marchands d'appareils photo, d'enregistreurs audio, les fournisseurs de services internet ou encore les développeurs de jeux vidéo ont ainsi une clientèle captive. Les inconditionnels du transport ferroviaire consacrent en effet un temps fou à voyager en trains, à les photographier ou enregistrer, à longer les voies abandonnées ou inachevées, à visiter les gares ou encore à collectionner les titres de transport.

Ces "geek du chemin de fer" et mordus de technologies s'en étaient donné à coeur joie avant le séisme du 11 mars avec la mise sur les rails de nouveaux futuristes trains à grande vitesse, dont Hayabusa (faucon en nippon). Les billets pour le premier trajet ont été vendus en moins de trente secondes !

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Ce nouveau modèle de Shinkansen (autrement appelé E05) se distingue de nombre de ses prédécesseurs par sa couleur verte et par "un long nez" qui n'en finit pas de prolonger l'avant de la locomotive. Son nom a été choisi à la suite d'un appel à propositions auprès du grand public. L'appellation Hayabusa n'est pas arrivée en tête mais l'argumentaire qui l'accompagnait a convaincu les dirigeants de la compagnie ferroviaire. Pour mémoire, Hayabusa est aussi le nom de la sonde spatiale nippone qui a ému la population japonaise l'année dernière en rapportant sur Terre des poussières de l'astéroïde Itokawa, après une mémorable épopée de sept ans, scandée par une multitude de problèmes techniques. De nombreux internautes avaient pour leur part souhaité que ce nouveau Shinkansen se nomme Hitsune, comme le personnage féminin aux cheveux bleus-verts du populaire programme de composition virtuelle Vocaloïd de Yamaha. Le fait que le nom Hayabusa ait finalement été retenu pour le nouveau train est cependant largement salué au Japon comme un hommage à la science et aux techniques japonaises.

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Le nouveau train est censé en être une remarquable illustration, ne serait-ce que par son aérodynamisme surprenant, les innovations qu'il embarque. Il est composé de trois classes, à l'instar des avions long-courrier: la classique, avec des sièges nouveaux à coussin-oreiller ajustable, prises électriques et autres fioritures; la "Green", avec des sièges très inclinables, une prise de courant dans l'accoudoir et une liseuse dans le dossier, et plus surtout la toute nouvelle "Gran class" dont l'aménagement est digne d'une première sur ligne aérienne, avec hôtesse et tout le toutim.

Les aménagements communs sont tout autant soignés, l'accent étant comme toujours mis sur les toilettes, petit coin auxquels les Japonais accordent une particulière attention. Dans le cas d'Hayabusa, ces lieux d'aisance sont prévus pour accueillir un handicapé en fauteuil roulant, selon le concept plébiscité depuis plusieurs années, dit "universal design", accessible à tous, quels que soient l'âge et le degré de mobilité. Comme dans les précédents modèles, des salles de retouche maquillage sont aussi installée entre les wagons.

A l'extérieur, les pantographes ont été pensés pour minimiser le bruit ambiant, des suspensions actives sont installées sur tous les wagons. Les rames sont équipées d'un système d'équilibrage pour minimiser l'inclinaison dans les virages à haute vitesse et le tout est complété par un nouveau dispositif de freinage qui réduit la distance nécessaire jusqu'à l'arrêt complet lorsque le train roule à 300 km/h ou plus. Rappelons que l'une des particularités des Shinkansen, comparés au TGV français, est de pouvoir faire des arrêts proches tout en ayant atteint entre-temps sa vitesse maximum de croisière.

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La campagne de promotion qui a accompagné le lancement de Hayabusa sur les voies de Tokyo à Aomori était aussi du plus bel effet. La compagnie de chemin de fer JR Higashi Nihon a fait appel à des créateurs internationaux pour réaliser les vidéos et photos qui mettent en valeur le nouveau train. L'animation en images réelles et de synthèse ainsi que l'habillage du site internet spécial ont par exemple été confiés à Alexei Tylevich, fondateur de la société Logan sise aux Etats-Unis et connue dans le monde des nouvelles technologies. L'homme et son équipe de graphistes ont à leur actif plusieurs clips pour les produits du géant de l'informatique Apple, ainsi que des séquences d'introduction de célébrissimes jeux vidéo comme Metal gear 4.

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"L'expression made in Japan, exprime la force de réaliser des rêves. Cette force n'a pas disparu. N'est partie que la confiance en nous. Encore une fois, marchons vers le haut, allons loin. Bientôt, le Japon prendra un nouvel et juste élan. Nous réaliserons de nouveaux rêves", écrivait avant le séisme la compagnie JR pour promouvoir Hayabusa, "made in a dream".


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