Le rêve d'une mobilité verte et économique tourne au cauchemar tarifaire sur les aires d'autoroute. Entre les coûts élevés et les commissions généreuses, la recharge électrique rivalise avec le plein d'essence, laissant les conducteurs de VE perplexes face à leur portefeuille.
Imaginez-vous au volant de votre rutilante voiture électrique, filant sur l'autoroute A7, le cœur léger à l'idée des économies réalisées par rapport à votre ancien diesel. Soudain, le voyant de la batterie clignote. Pas de panique, une aire se profile à l'horizon dans une petite dizaine de kilomètres. Vous vous arrêtez, branchez votre véhicule pour pouvoir continuer votre voyage et… c'est le choc. Le prix affiché pour la recharge vous fait l'effet d'une douche froide. Bienvenue dans la réalité paradoxale de la mobilité électrique sur les longs trajets.
Le mirage de l'électron bon marché
« La recharge sur notre réseau est bien plus chère que celle à domicile, car il s'agit de bornes très haute puissance », explique Raphaël Ventre, directeur marketing de Vinci Autoroutes. Une justification qui ne manque pas de logique si on la considère objectivement : même si l'Hexagone accuse un certain retard dans le déploiement de ses bornes, 83 % des 3 107 points de charge du réseau autoroutier français délivrent une puissance supérieure à 150 kW. De quoi remettre votre batterie d'aplomb en un éclair - ou presque.
Mais à quel prix ? En moyenne, le kilowattheure s'affiche à 50 centimes sur les aires d'autoroute. Faites le calcul : pour une batterie de 40 kWh, comptez 20 euros pour parcourir environ 160 km. À titre de comparaison, une voiture essence consommant 6,8 litres aux 100 km, il faudrait débourser dans les 13 euros pour la même distance, avec un carburant à 1,95-2 euros le litre sur autoroute. Des chiffres qui commencent sérieusement à piquer.
Bastien, un restaurateur croisé sur l'aire de Morainvilliers Sud, tente de relativiser : « En même temps, vous y restez à peine une demi-heure et vous repartez à 100% alors qu'il me faut 36 heures, chez moi ». Un argument qui peine à convaincre Alpha, un chauffeur privé, qui ne mâche pas ses mots : « 60 centimes, ils se gavent », martèle-t-il devant le panneau affichant le prix du kWh. Justement, de qui parle Alpha lorsqu'il emploie le mot « ils » ?
La grande braderie des watts : qui empoche la mise ?
Un récent rapport de l'Autorité de régulation des transports (ART) lève le voile sur un autre facteur de ce coût élevé : la (très) généreuse commission empochée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Accrochez-vous bien : « Plus de 18 % du prix de la recharge est reversé à la société concessionnaire d'autoroutes en échange du droit, pour le titulaire du contrat, d'exploiter son installation sur le domaine autoroutier, contre seulement 4 % en moyenne pour les autres biens vendus sur une aire de service », révèle le rapport. Un pourcentage qui ne manquera pas de faire tousser plus d'un conducteur.
L'ART s'interroge : les procédures d'appels d'offres pour désigner les sous-concessionnaires des bornes électriques seraient-elles biaisées ? « Des méthodes de notation (des sociétés candidates) incorrectement calibrées pourraient permettre au concessionnaire de capturer une rente », s'inquiète l'autorité. Un parfum de superprofits qui ravive de vieux débats sur la gestion des autoroutes.
Hors autoroute, la situation n'est guère plus réjouissante pour les adeptes de la recharge rapide. Selon le dernier rapport de l'Avère (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique), la recharge ultrarapide (à partir de 150 kW) s'affiche en moyenne à 0,47 € du kWh. Une alternative moins onéreuse existe : opter pour des bornes moins puissantes (jusqu'à 22 kW), avec un tarif moyen de 0,36 €/kWh. Un choix qui préserve non seulement le portefeuille, mais aussi la longévité de la batterie.
L'autoroute électrique : un chantier titanesque
Malgré ces couacs tarifaires, le réseau de recharge sur autoroute continue à se développer. L'Association des sociétés françaises d'autoroutes (Asfa) se targue d'avoir équipé l'intégralité des 364 aires de services de bornes de recharge rapide, avec une station tous les 50 km en moyenne. Vinci Autoroutes, de son côté, annonce une explosion des recharges : « Au mois de juin, nous avons enregistré 153 000 recharges sur notre réseau, soit + 120 % par rapport à juin 2023 », se félicite le géant autoroutier, aux manettes de 4 443 km d'autoroute en France.
Toutefois, le gros du défi est encore à venir. Avec seulement 2,5 % du parc automobile français actuellement électrique, comment les infrastructures s'adapteront-elles quand ce chiffre atteindra 20 %, 30 %, voire 50 % ? Vinci Autoroutes esquisse déjà des pistes : « En 2035, nous aurons besoin de 80 bornes sur nos aires les plus importantes ». 2035, ce fameux cap de l'UE, qui veut bannir à jamais le thermique, nous paraît à la fois lointain, mais aussi très proche au regard des progrès en matière d'infrastructure.
Les sociétés concessionnaires planchent sur des solutions innovantes : bornes mobiles pour les périodes de pointe, systèmes de guidage intelligents pour optimiser la répartition des recharges. On évoque même des bornes capables de reconnaître automatiquement les véhicules, facilitant ainsi le processus de paiement.
En attendant ces avancées, les conducteurs de véhicules électriques doivent jongler entre recharge à domicile, plus avantageuse, et séances de sudoku sur les aires d'autoroute. Marlies et Steve, rencontrés sur l'aire de Morainvilliers, estiment les bornes de recharge « au moins 50 % plus chères » sur autoroute. Steve tente de rationaliser : « D'abord, étant donné que vous êtes obligé de vous arrêter, ils fixent le prix qu'ils souhaitent. Et puis, investir dans de telles infrastructures coûte cher. Il faut bien que les concessionnaires s'y retrouvent… ».
En fin de compte, si la mobilité électrique reste un pilier essentiel de la transition énergétique, son modèle économique sur les longues distances a encore besoin d'un sérieux coup de boost. Entre les coûts d'infrastructure, les commissions des concessionnaires et les attentes des consommateurs, l'équation semble complexe à résoudre. Pour l'instant, nous savons très bien qui paie cette addition un peu trop salée.
Source : Le Parisien