Un an après... Bouygues Telecom est toujours célibataire

Céline Deluzarche
Publié le 25 juin 2016 à 20h06
Le 23 juin 2015, l'opérateur balayait d'un revers de la main une offre de rachat très généreuse de son concurrent Numericable-SFR. Un an après, le groupe veut maintenir le cap, entre volonté de rester indépendant et fragilité avérée.

Le 23 juin 2015 dans la soirée, Bouygues Telecom publiait un communiqué officiel rejetant l'offre déposée par Numericable-SFR 24 heures plus tôt. Une offre valorisant la filiale du groupe de BTP à plus de 10 milliards d'euros, une « prime » de presque 2 milliards par rapport à la valeur réelle de l'opérateur. Mais peu importe : Martin Bouygues clame alors à qui veut l'entendre qu'il a les moyens de rester seul. « Vous vendriez votre femme, vous ? », raille-t-il auprès des observateurs.


C'est pourtant lui, qui, à peine six mois après, va chercher le PDG d'Orange Stéphane Richard pour lui proposer un mariage. Et c'est dans des conditions bien plus favorables que s'amorce cette nouvelle discussion. D'abord, les relations entre les deux dirigeants sont bien meilleures qu'avec Patrick Drahi, propriétaire de SFR et ennemi juré de Martin Bouygues. Deuxièmement, le gouvernement semble plus enclin à accepter un tel rapprochement. « Le temps n'est pas à des rapprochements opportunistes », déclarait le ministre de l'Economie Emmanuel Macron lors de l'opération avortée avec SFR en juin.

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Enfin, Bouygues Telecom semble lui-même convaincu qu'il ne peut plus résister seul. L'arrivée de Free en 2012 avec ses forfaits à prix cassés a fait plonger le groupe dans le rouge. Depuis cette date, l'opérateur a accumulé 113 millions d'euros de pertes et a dû effectuer de larges coupes dans ses effectifs (2000 salariés sur 9500 ont quitté le groupe). Entre 2008 et 2015, sa marge nette s'est effondrée de 16,1% et l'ARPU (revenu par abonné) mobile a chuté de 498 euros à 22,8 euros fin 2015.

Un groupe en convalescence

C'est donc à la surprise générale que le groupe annonce la fin des négociations le 2 avril 2016. Clap de fin (provisoire) de la partie. Que reste-t-il aujourd'hui de toute cette agitation ? « Bouygues Telecom a été très fragilisé, mais les résultats montrent que nous sommes guéris », assure son patron Olivier Roussat. De fait, le chiffre d'affaires est reparti à la hausse à 4,5 milliards d'euros, soit une croissance de 2% par rapport à son précédent exercice.

Mieux, l'opérateur a gagné 769 000 clients sur le mobile et 360 000 sur le haut débit fixe. L'opérateur compte au total 12,1 millions de clients à fin mars 2016, contre 18,1 millions pour Free et 23,2 millions pour Numericable-SFR. « Bouygues Telecom a les moyens de retrouver, à l'horizon 2017, une marge d'exploitation de 25 % minimum, soit son niveau de 2011 avant l'arrivée de Free sur le marché des mobiles », assure le groupe.

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Un optimisme non partagé par son concurrent : « La consolidation est plus indispensable pour ceux dont la France représente 100% du chiffre dans le métier », a glissé Patrick Drahi aux Parlementaires le 7 juin dernier. Autrement dit, si l'échec de la fusion n'est pas un problème pour son propre groupe, par ailleurs présent à l'international, il l'est pour Bouygues Telecom, qui fait toujours figure de proie. Pour certains analystes aussi, la reprise des hostilités n'est qu'une question de temps. « Un nouveau gouvernement [après les élections présidentielles en 2017] pourrait très bien être plus flexible sur les conditions d'un rachat de Bouygues par Orange », juge Dexter Thillien, chez BMI Research.

La guerre des prix est repartie de plus belle

« J'espère qu'on va avoir un peu plus de stabilité et que les opérateurs vont se concentrer sur leur métier, qui est de fournir de bons services et de réaliser des investissements [...] Le scénario de référence est que l'on reste à quatre pendant au moins quelques années », pronostiquait Sébastien Soriano, président de l'Arcep, au lendemain de l'échec de la fusion Bouygues-Orange. « Les prix très cassés de certains relevaient de la volonté de faire boire la tasse à d'autres.[...] Ce genre de comportement va cesser. Les opérateurs dépensaient beaucoup d'argent en promotion pour se piquer des clients les uns des autres, mais c'était un jeu à somme nulle ».

Et bien c'est raté. Les hostilités sont reparties de plus belle, et notamment chez Bouygues. En ce moment, l'opérateur propose ainsi une offre à 3,99 euros par mois pendant un an pour des appels et SMS illimités et 20 Go de consommation Internet. Une offre facturée 19,99 euros par mois chez Free et 69,99 euros chez Orange. Encore mieux : ses abonnés mobile peuvent souscrire à une offre fixe triple play à... zéro euro pendant un an.

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Sébastien Soriano, président de l'Arcep


Une stratégie suicidaire ? C'est oublier que Bouygues est aussi capable de se montrer innovant : qui se souvient qu'il est l'inventeur du forfait mobile et du téléphone subventionné en 1996 (jusque-là, les appels étaient uniquement facturés à la minute). Encore lui le premier à avoir lancé les appels illimités... imité trois semaines après par SFR ? Bouygues Telecom devra poursuivre ses efforts. Mais le groupe, qui fête ses 20 ans cette année, s'estime semble-t-il encore un peu jeune pour le mariage.

Samsung conserve-t-il la tête des ventes de smartphones ? Le cloud à la française est-il un désastre ? Des questions posées par la rédaction de Clubic Pro dans notre nouvelle série « Un an après ». Rendez-vous la semaine prochaine pour un nouveau numéro.
Céline Deluzarche
Par Céline Deluzarche

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