Live Japon : ça sent le détournement de sens

Karyn Poupée
Publié le 23 octobre 2010 à 00h10
Tromper ses sens pour réaliser ses fantasmes: à en croire notre fidèle mangaka japonais surnommé Jean-Paul Nishi, tel est peut-être bien le but des recherches nippones portant sur la réalité augmentée (AR) ou virtuelle (VR).

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Avec ce yon koma manga (manga en quatre vignettes), Nishi-san ne délire pas plus que les chercheurs nippons que l'auteur a rencontrés récemment. Certains ont eu imagination à couper le souffle, voire l'appétit. Exemple: les créateurs de « Meta Cookie », un biscuit qui change de goût si l'on met des lunettes pour sentir comme il est bon. Il s'agit en l'occurrence de leurrer la langue et le cerveau uniquement par stimulations visuelles et olfactives.

Le système est composé d'une sorte de casque qui comporte des lunettes vidéo et une caméra située dans l'axe des yeux, le tout étant relié à un ordinateur. La scène que le porteur voit en vidéo est donc celle qui est présente devant lui, à une différence près: le dispositif informatique est capable de superposer des effets vidéo sur une partie de la scène filmée.

Par exemple, ce principe peut ajouter artificiellement une nappe de chocolat sur un biscuit sec que tient l'utilisateur. Le biscuit est auparavant marqué d'un signe qui lui permet d'être reconnu, un peu comme un code visuel. Le porteur du casque, lui, croit avoir dans la main un gâteau enrobé. A la dégustation, aucun doute, le goût du chocolat est bien là, alors qu'en réalité il n'y a pas un milligramme de cacao ou autre ingrédient chocolaté dans le biscuit. La sensation est réelle cependant, car le casque génère aussi, au bon moment, une odeur de chocolat grâce à des diffuseurs d'arôme placés au niveau des narines.

Plus amusant encore: il est possible de changer l'apparence et la saveur du gâteau (fraise, fromage, thé vert, orange, etc.) en fonction de sa position dans l'espace (à droite, au centre, à gauche) par rapport à la caméra.

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Ce concept expérimental trompeur est le fruit de recherches menées par des étudiants de l'Université de Tokyo. « Nous prouvons avec ce système qu'il est réellement possible de changer la perception du goût avec des informations seulement visuelles et olfactives, » se félicitent les chercheurs Takuji Narumi, Tomohiro Tanikawa et Michitaka Hirose. Et de préciser: « Les nombreuses personnes avec lesquelles nous avons testé nous ont affirmé que le goût du gâteau variait réellement en fonction de l'image virtuelle présentée et de l'arôme diffusé, » alors même qu'il s'agit toujours du même biscuit sec.

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Un autre équipement très expérimental exploite pour sa part les sensations tactiles des papilles et l'ouïe pour tromper le goût: une sucette est agitée dans la bouche par un appareil qui la fait tourner et vibrer de sorte par exemple qu'on ait l'impression de mâcher une pomme. Il paraît que l'on en perçoit ainsi le goût. Voilà dans les deux cas de potentiels bons moyens pour faire avaler des épinards à des gamins plus alléchés par des frites.

Après le goût détourné par l'odorat et la vision ou le toucher combinés, passons au toucher inversé. Vous souvenez-vous du manga de Nishi-san la semaine passée, et notamment de la quatrième vignette. La revoici, pour mémoire.

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En tapotant le dos de son épouse, cet homme a l'air ravi (son regard le trahit), comme si finalement la sensation était surtout ressentie par lui, tandis que sa compagne se demande quelle mouche l'a piqué à ainsi s'agiter. Imaginez justement que vous ayez la possibilité de vous massez le dos vous-même, comme si une autre personne le faisait, imaginez que vous puissiez même vous étreindre. Ce fantasme d'esseulé peut être satisfait grâce à une autre équipe d'étudiants qui ont conçu un insensé dispositif mécatronique. Il s'agit de deux vestes sans manches reliées par un système électronique.

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La première, qui comporte dans le dos des capteurs tactiles, est portée par un mannequin. Un individu revêt pour sa part la deuxième, qui intègre des muscles et équivalents de doigts artificiels. En massant de ses propres mains le dos du mannequin, l'individu en question ressent lui-même dans son propre dos la pression qu'il exerce, exactement aux mêmes endroits que ceux où il appuie. Il a réellement l'impression physique qu'il est étreint s'il serre le corps du mannequin. Troublante technologie dont on se dit qu'elle peut servir à bon escient dans les lieux de rééducation, comme l'imagine l'équipe de recherche, mais qu'elle risque aussi d'être détournée dans des buts moins avouables.

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Toujours dans le domaine du toucher, nous ont été présentées d'autres techniques étonnantes, dont celle appelée Thermo-Paradox qui exploite les variantes de température pour transmettre une information tactile. Il s'agit de reproduire par des différences thermiques une image affichée sur une sorte d'écran, lequel a la propriété d'avoir des pixels à température ajustable. Avec le toucher on le sait, il est possible par exemple de communiquer une information en exploitant les écarts de relief (principe du braille). Eh bien dans le cas présent, il s'agit d'utiliser les variations de température d'un point à l'autre de l'image, par exemple pour représenter une succession de lignes bleues et rouges, ou bien la neige, ou encore le feu. En plus d'être un axe de recherche intéressant, l'effet visuel est glaçant ou saisissant.

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Toucher toujours, mais moins direct cette fois, avec des techniques qui permettent au doigt ou à la main de ressentir une pression ou un choc en heurtant une image en trois dimensions (3D), alors même que cette dernière est parfaitement intangible. Dans les deux cas, la sensation est procurée par un système de reconnaissance de mouvements et positions qui génère une impulsion via une bague portée au doigt ou une sorte de stylo tenu à la main. Dans l'une des expériences, le but est de toucher avec l'index à un personnage virtuel qui a tout des fameux kyarakuta (caractères) peuplant l'imaginaire de l'animation et de certains jeux vidéo ou manga. « Voilà un truc de plus pour les otaku, » s'est désolé l'ami Nishi lorsqu'on lui expliqua ces techniques. Crainte légitime hélas dans un pays où l'on s'amuse à vendre des petites amies virtuelles à des jeunes hommes trop timorés pour oser en aborder de réelles et où, au lieu de s'en inquiéter, on se félicite de cet élan de compassion (allusion au pitoyable jeu « Love Plus » de Konami, entre autres).

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Dans le registre illusion, on préfère, et de loin, une autre technique plus artistique et moins tendancieuse, qui nous rappelle le côté surnaturel des films du maître nippon de l'animation, Hayao Miazaki. Il s'agit d'un rideau, en apparence banal, mais qui est peuplé de bestioles... ou du moins le laisse-t-il croire. En effet, lorsque l'on s'en approche, le rideau se met à gondoler et des petits vers lumineux s'agitent à sa surface. Si l'on fait un mouvement brusque, ces bébêtes s'écartent, apeurées, et si l'on touche le rideau en question avec délicatesse, elles viennent au contraire s'agglutiner à proximité de la main. Le secret de ce rideau vivant, pensé par des étudiants de l'Université Toyohashi de Technologies, ce sont un capteur laser et une caméra pour détecter la présence et les mouvements ainsi que la position de la main sur le rideau. Ils sont reliés à un PC qui génère une image diffusée par un projecteur à l'arrière, et active simultanément un ventilateur, provoquant ainsi les ondulations du tissu et l'animation lumineuse des « asticots » appelés Hinoco.

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Puisque d'animaux nous parlons, terminons avec des créatures qui, elles, font appel au cinquième sens, l'ouïe, pour restituer une transcription visuelle. Il s'agit de deux oisillons en plastique conçus par le fabricant de jouets Takara-Tomy. Ils ont été pensés pour nous éviter de nous fatiguer les yeux à lire les gazouillis postés sur Twitter. L'un est nommé Foro, il est bleu et a une voix masculine, l'autre s'appelle Foromi, est blanche et a une tonalité vocale féminine. Reliés au PC, ils lisent de façon relativement fluide les cui-cui des contributeurs de Twitter, choisis en fonction du paramétrage établi par l'utilisateur. Les noms de ces personnages n'ont pas été choisis au hasard: ils combinent les termes anglais « follow » (suivre) et « follow me » (suis-moi) utilisés sur Twitter, et des désinences communes de noms masculins et féminins japonais (« ro », qui se lit presque « lo » pour les garçons, et « mi » pour les filles). Foro et Foromi seront disponibles au Japon en février 2011 au prix unitaire de 2.480 yens (22 euros). Très gadgets a priori, ces oisillons apparaissent plus pertinents au Japon qu'en France, car les petits textes écrits en nippon sur le site de mini-messages Twitter sont plus longs que ceux rédigés en caractères alphabétiques, bien qu'ils comportent comme eux 140 signes. Un ou deux idéogrammes ou un signe de syllabaire suffisent en effet le plus souvent à transcrire un mot complet en japonais, ce qui est rarement le cas pour des langues alphabétiques.

Soit écrit en passant pour conclure, l'auteur française de ces lignes et son complice japonais mangaka Nishi-san vous remercient pour tous vos commentaires.
Karyn Poupée
Par Karyn Poupée

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