Pierre CHAPIGNAC, fonde en 1988, Stratégie & Mutation, cabinet spécialisé dansle développement de prestations en matière d'ingénierie deprojets et dans la réalisation d'études dans le domaine dudéveloppement économique. Il fonde son action sur le cara
NET - Monsieur Chapignac, bonjour. A suivre l'actualité, lephénomène de la Net-Economie semble toucher davantage lesgéants du secteur high-tech ou les fameuses sociétés".com", dans une logique qui se veut d'embléeinternationale. Quelle place dans tout çà pour les PME et ledéveloppement local ?
PC - Votre question présente trois aspects. En premier lieu vousétablissez un lien entre la taille et la position au sein de ceque vous appelez la net-économie : or la caractéristiques denombreux géants actuels est davoir été des PME il y aencore peu et davoir su grandir très vite. Il me sembleque le critère à retenir est celui de la croissance. En secondlieu, vous soulevez la question du secteur. Il est certain queles secteurs high tech sont au cur de léconomieémergente. Cependant, tous les secteurs sont touchés etlimpact de la nouvelle économie est un impactessentiellement transversal. Ainsi, le secteur delhabillement doit, sil veut survivre, intégrer leprincipe de création (rotation de plus en plus rapide desproduits, capacité à anticiper les tendances de consommation,etc.). Cest un facteur stratégique au moins aussiimportant que le « coût-minute », leitmotiv de lâgeindustriel. Le dernier critère que vous évoquez à propos deléconomie de limmatériel est celui delinternationalisation et de la globalisation. Si lephénomène dinternationalisation est la partie visible deliceberg, le mouvement de fond est une recomposition desmarchés. Les marchés deviennent mondiaux ce qui est un danger(le monde est à votre porte) mais aussi une opportunité (lemonde est à votre portée). Mais, les marchés se recomposentautour de nouvelles structures moins sectorisées (le luxe parexemple) mais aussi plus spécialisés (le marché delédition en langue celte), autour de nouvelles formesdéchanges (le portail du B to B dans lindustrieautomobile). En fait, les marchés sont avant tout des systèmesdinformation et le développement de léconomieactuelle est fondé sur un saut qualitatif dans le partage delinformation. La mondialisation nest que le résultatde ce mouvement.
NET - Ne pensez-vous pas que la logique de territorialité, sous tenduepar la notion de développement local, soit en contradiction avecl'effacement des frontières que semble opérer l'expansion del'Internet et plus généralement la dynamique économique deglobalisation des marchés ?
PC - Il ny a pas à mon sens de contradiction. Tout savoir-fairelocal ayant une spécificité incontournable peut trouver saplace dans cette ouverture. De même que de nombreux groupes ontorienté leur réflexion stratégique sur le recentrage sur leurmétier de base, les territoires ne peuvent développer desstratégies gagnantes quen déployant et en enrichissantleur savoir-faire de base. On confond souvent deux notions : lamondialisation et la banalisation. Pour reprendre lesévénements récents, Monsieur Bové na jamais refusé devendre du Roquefort aux Etats-Unis et personne ne prône lerepli. La bataille anti OMC sest développée sur un fondde refus dune standardisation, de refus duneréduction de la diversité de loffre qui est in fine unerégression culturelle (perte didentité) et donc unappauvrissement. Il existe aujourdhui des PME françaisesde moins de 20 personnes qui se développent au USA sur desproduits traditionnels comme les bas et collants. Les réussitesdans le vin ou dans dautres produits du terroir montrentégalement quen développant une offre de qualité ayantune forte identité locale, la mondialisation peut êtreprofitable. La source de cette identité nestdailleurs pas obligatoirement une tradition. Ce peut êtreun savoir-faire contemporain qui a su se bâtir sur dessavoir-faire antérieurs. Il ny a pas dalternativeexclusive entre local et global mais il faut trouverlarticulation pertinente entre ces deux pôles. On peuttenir le même raisonnement à propos de la dualité activitétraditionnelle / activité high tech.
NET - Vous travaillez en ce sens sur un projet nommé TISS? Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots de quoi il s'agit ?
PC -TISS est un projet de mise en réseau de PME du textile du Gardet des Cévennes autour de lutilisation dInternet. Ceprojet a été lancé à linitiative de la CCI de Nîmesqui a commencé a explorer les potentialités dunedémarche collective autour dinternet dés la fin delannée 98. Après une première série de rencontres avecune quinzaine dentreprises, elle a monté un dossier qui areçu le soutien des services de lEtat (la DRIRE), de laRégion et de lEurope. Le territoire couvert par le projetTISS a une grande histoire textile et il reste encoreaujourdhui un des pôles de la production de bas etcollants (présence de WELL), un acteur dans la production desous vêtements (EMMINENCE) et dans le prêt à porter (CACHARELa délocalisé une partie de sa production mais une partie delactivité à forte valeur ajoutée est toujours surplace). Comme chacun sait, lindustrie textile française aconsidérablement souffert de la pression sur les prix et doncsur les coûts de main duvre. Mais, uneindustrie dont le seul cadre stratégique est la survie naaucun avenir. Lobjectif est dutiliser lesdifférentes potentialités ouvertes par Internet pour construireune perspective stratégique. Notre optique est de mettre enplace une stratégie collective sur le plan marketing etcommercial en utilisant le B to B et les logiques de communautéet dunivers. Mais ce nest quun aspect duprojet. Nous voulons aussi utiliser les logiques « extranet »en permettant le partage de linformation et la miseen place de services donnant un accès aux nouvelles ressourcesde connaissances et dinformation sans lesquelles aucuneentreprise ne peut espérer survivre. Nous avons obtenu le «label » SPL récemment en intégrant le projet Internetproprement dit (TISS), le développement dune animationcollective et la conception dune démarche de tourismeindustriel. Nous sommes déjà en contact avec dautresSPL textiles en France ainsi quavec des KRN et nousespérons pouvoir développer des services communs, des actionsde B to B. En fait, TISS na de sens que sil reposesur une dynamique et cette dynamique est plus large que le champdaction « Internet » et que notre territoire.
NET - Vous êtes à l'origine d'une manifestation ayantpour thème "Les PME dans la dynamique de la NouvelleEconomie" qui se déroulera pendant deux jours à Nîmes les26 et 27 avril prochains. Pourquoi avoir voulu mettre enplace cet événement ?
PC -La paternité nest pas établie ! Jai certesuvré pour que cette manifestation ait lieu, mais cenest quun moment dans un processus. Sinon, nous neferions quune opération de « com » de plus ce qui nerime pas à grand chose. Or comme tout processus, il résulte dela mobilisation de nombreux acteurs (industriels, CCI, pouvoirspublics, Europe) et il est le fruit dune somme de travauxde fourmis entêtées.
Pour enrevenir à lévénement lui-même, notre objectif esttriple. Nous voulons dabord nous compter et nous rassurer.On travaille sur ce projet depuis de longs mois et noussouhaitons regarder le chemin accompli et le montrer. Ce typedobjectif peut paraître enfantin mais, sans ces momentsforts, les dynamiques sétiolent. Il y a là un effetmiroir que lon peut qualifier avec un terme plusprestigieux en disant que tout mouvement social fut-iléconomique à besoin dune « conscience de soi ». Ensecond lieu, nous souhaitons échanger sur les expériences de cetype. Nous voulons entendre dautres avis que les nôtres etprofiter dautres expériences. Enfin, nous espéronsinitier un saut qualitatif. En réunissant dautresgroupements du textile ainsi que des projets plus transversaux(veille de tendances, expérience de formation,etc.), nous voudrions jeter les bases de servicesmutualisés à léchelle française et européenne. Cepourrait être par exemple un partage des efforts dans la veilleet lintelligence économique ou la mise au point deformations au commerce électronique.
NET - La problématique de l'animation de réseau seral'un des sujets majeurs abordé lors de la manifestation. En quoipensez-vous que cette question soit déterminante ?
PC -Lavenir des PME et des territoires est dans ledéveloppement de réseaux dacteurs, que ces réseauxsoient spécifiquement des réseaux dentreprises ou bienquil sagisse de réseaux intégrantlenseignement, la recherche, les musées (comme dans letextile de Rhône Alpes), des centres de design et de création,etc. Les réseaux au sens trivial du terme existent depuis fortlongtemps de manière spontanée. Tout le monde a entendu parléde la vallée de lArve et du décolletage par exemple. Maisla complexité croissante de léconomie a deux effets.Dune part, les formes spontanées ne sont plus suffisantespour répondre aux impératifs contemporains et dautrepart, lorganisation en réseau devient un impératif pourtous les acteurs économiques. Lorsque lon évoque laproblématique de lanimation on essaie en quelque sorte depasser de lépoque de la cueillette à celle delagriculture. Dans le contexte de ce que jassimileici à la cueillette, il sagit de surfer sur les réseauxqui se développent naturellement sans soucis particulier de leurmode de fonctionnement. Dans la démarche du « cultivateur deréseau », lobjectif est bien différent. Ilsagit de partir de toutes les potentialités de réseau(les graines et les jeunes pousses) pour les accompagner dansleur croissance de manière à garantir leur épanouissementoptimum. Or, comme dirait Monsieur de Lapalisse, pour cultiver ilfaut un cultivateur et, en la circonstance, lanimateur estbien le cultivateur, ou mieux, le jardinier du réseau. Définirlanimation et lui donner le cadre pour se développer,cest le premier maillon dune chaîne qui aboutit àla mise en réseau du tissu économique local. Or cette mise enréseau est la condition pour son adaptation à la globalisationet pour lanticipation aux évolutions de plus en plusrapides de léconomie.
NET - Vous évoquez à plusieurs reprises les notions deSPL et de KRN. Que recouvrent exactement ces vocables ?
PC -Le SPL (système productif localisé) est un concept qui estissue de lanalyse de groupements de PME sur un métier etsur un territoire à limage des districts italiens. Pour ceque je connais, cette notion a été développée par deschercheurs en économie en particulier autour de lIREP-D(Grenoble). Ce concept a été transformé en mode opératoire dela politique de développement économique par la DATAR. Lesspécialistes parlent dune centaine de SPL sur leterritoire français et dun nombre équivalent de SPL engestation. Le KRN (knowledge ressources network) est unconcept développé par la DG Entreprises (ex DG III) de laCommission Européenne. Ce concept a également été traduit enmode opératoire avec les projets Epsilon. Alors que dansle cas du SPL, on part des réseaux dentreprises proprementdit souvent (mais pas toujours) fondés sur lancienneté desavoir-faire, avec les KRN lobjectif est de construire pourles PME des réseaux daccès aux ressources immatériellesen prenant appui sur les NTIC. La différence me semble reposersur lapproche de deux facettes du problème : laconstruction de laction collective et la construction de ceque lon pourrait appeler un « environnement intelligent »au service de cette action collective. Je suis intimementconvaincu quil faut faire converger ces deux approches etjespère que la présence des SPL et des responsables delaction KRN de la Commission (projets Epsilon) lors de lamanifestation de Nîmes sera une occasion pour cetteconvergence.
NET - La veille stratégique peut-elle, selon vous, servird'instrument de valorisation du patrimoine immatériel des PME?
PC -On peut répondre à cette question non pas par une question(méthode jésuite de base) mais par deux questions (la méthodejésuite à lheure de la complexité !) : quest-ceque la veille stratégique et quest-ce que lepatrimoine immatériel dune PME ? Prenons dabord leproblème de la veille stratégique. Ce terme a été largementgalvaudé. Si lon définit la veille stratégique commelart de réévaluer en permanence la position stratégiquedune entreprise dans un environnementmultidimensionnel, alors incontestablement, cette approche estune réflexion en continu sur la valorisation de ses actifs.Examinons maintenant la question du patrimoine immatériel. Je nesuis pas daccord avec cette expression car elle faitréférence de manière implicite à une propriété formalisée.Or les actifs immatériels les plus significatifs sontdabord des dynamiques, des « capacités à ». Ou est leplus fort potentiel ? Dans une entreprise, qui détient desbrevets ou dans une entreprise qui a une capacité de R&D quiproduira les brevets de demain ? Ainsi, pour revenir à laquestion initiale, je répondrai oui en reformulant les chosesainsi : La réévaluation permanente de la position stratégiquede lentreprise est la condition indispensable pour composerdans chaque situation larchitecture des actifs la pluspertinente. Or, larchitecture des actifs se construit nonautour des actifs traditionnels qui sont lourds et donc peumalléables mais autour des actifs immatériels qui sont fluides.Cela a dailleurs une action secondaire essentielle.Contrairement aux actifs matériels qui susent, les actifsimmatériels se développent par leur mise en uvre. Unecompétence toujours confrontée à de nouveaux défis est unecompétence qui senrichit. Plus la veille permettralinnovation et plus les actifs immatériels seront encroissance qualitative et quantitative.
NET - Quelle suite sera donnée à cette manifestation ?
PC -La suite dépend bien évidemment du succès ou de léchec.Mais, en faisant abstraction de toute forme de pessimisme (ce quinest pas raisonnable), on peut espérer que les questionsimportantes qui auront été débroussaillées (quels usagecommercial dInternet pour les réseaux de PME ? quelsservices collectifs de veille ? quelles méthodesdanimation et de management des réseaux ? quels outils deformation pour les réseaux ? etc.) feront lobjet dunapprofondissement. Comment faire pour être efficaces ?Peut-être quInternet nous offre une opportunité àsaisir. Les formes déchanges distants peuvent permettre decontinuer à travailler collectivement sur ces questions àcondition bien sûr dappliquer des méthodes rigoureuses.Lutopiste qui sommeille (dun il !) verrait bienune alternance de rencontres en vis à vis et de débatsélectroniques, chacune nourrissant lautre par des apportscomplémentaires. On pourrait ainsi avoir un « séminairepermanent dauto formation sur les réseauxdentreprise ». Ce serait un lieu à la fois virtuel etréel, permanent et multilocalisé où chaque acteur seraitsimultanément un « neurone » de lintelligencecollective, un producteur de connaissance et un «apprenant ». Neteconomie ne serait-il pas tenté de devenir undes maillons de cette chaîne de la connaissance perpétuelle?
NET - Monsieur Chapignac, je vous remercie !
Entretien réalisé par Patrice Nordey et Jérôme Chaudeurge en février 2000
Pierre Chapignac, spécialiste de l'Economie de l'Immatériel
Publié le 24 mars 2000 à 00h00
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