Dans un rapport choc et accablant à propos de la financiarisation du football professionnel, une commission d'enquête du Sénat a partagé ses préconisations. Sans surprise, les sénateurs se sont penchés sur la lutte contre le piratage avec, à la clé, un "remède" qui risque de faire couler de l'encre !
Banalisé, le recours à l'IPTV et au "live streaming" sur des réseaux comme Telegram "constitue une menace existentielle pour l’économie
du football", selon les sénateurs à l'origine du rapport. En guise de remède, trois recommandations qui risquent fort de ne pas passer inaperçues.
"Football business, stop ou encore ?" : un rapport corrosif pour la LFP
Six mois d'enquêtes et d'auditions viennent de donner lieu à un rapport accablant pour le football professionnel. Dirigé par les sénateurs Laurent Lafon (UDI) et Michel Savin (LR), ce rapport plonge en profondeur dans les méandres de la financiarisation du football : la question des droits TV, celle de la répartition des revenus entre les clubs, de la rémunération des banques d'affaires et des dirigeants, ou encore celles des investissements étrangers.
Au cœur du débat et à l'origine de l'intérêt porté par les sénateurs au football français, le contrat signé en 2022 entre le fonds d’investissement luxembourgeois CVC Capital Partners et la LFP fait grincer des dents. Pour rappel, le fonds d'investissement a apporté 1,5 milliard d'euros à la Ligue, en échange d'un véritable pactole : autour de 13 % du capital des ligues françaises de football…
Un "deal" dont les conditions sont par ailleurs vivement critiquées par les sénateurs, dénonçant une vision "court-termiste". Une enquête a également été ouverte pour des chefs d'accusation de détournement de fonds publics, corruption active et passive d'argent public et prise illégale d'intérêts, menant, ce 5 novembre 2024, à des perquisitions diligentées par le Parquet National Financier au siège de la LFP et au domicile de Vincent Labrune.
Le piratage, cette menace existentielle pour le football français
Sale temps pour le foot français ! Vous l'aurez compris, avec ce rapport sénatorial de 130 pages, l'enquête ouverte dans le cadre du contrat signé avec CVC, ou encore les déboires de DAZN, le foot français n'entrevoit sans doute que le début de la tempête. Les sénateurs ont malgré tout des idées à revendre, avec de multiples préconisations, pour améliorer la gouvernance et renforcer la régulation du football professionnel, mais également pour en "réinventer l'économie".
04 novembre 2024 à 13h15
Les sénateurs estiment en effet que le piratage du football est une pratique banalisée, à laquelle les Français sont désormais habitués. Cela constitue selon eux "une menace existentielle pour l’économie du football". Ils ajoutent que "l’une des principales sources d’inquiétude est la progression du piratage" pour les clubs comme pour les diffuseurs, plombant, au passage, le rendement de la taxe "Buffet".
Le rapport s'appuie ainsi sur une étude publiée par l'ARCOM en avril 2024, selon laquelle 35 % des français ont recours à un VPN ou à un DNS alternatif. L'étude se poursuit en stipulant que, parmi eux, 46 % des utilisateurs se cachent derrière un VPN pour y consommer illégalement des biens dématiarialisés, contre 54 % des utilisateurs de DNS alternatifs. Bien que la première raison invoquée par les consommateurs de contenus via des services illégaux soit le prix des abonnements aux plateformes de streaming, trop élevés, les sénateurs estiment que les autorités doivent se doter d'un arsenal plus efficace et contraignant pour lutter contre le streaming illégal, les flux diffusés sur des réseaux comme Telegram, et bien sûr les boitiers et autres sticks "jailbreakés" permettant d'accéder à des IPTV pirates.
Si le rapport se félicite du dispositif (à l'initiative du Sénat) ayant permis le blocage de près de 5000 sites depuis sa mise en place en 2022 et à une baisse de l'audience illicite de près de 27 % entre 2021 et 2023, les sénateurs souhaitent la mise en place d'un arsenal plus efficace encore et ont sans doute jeté un œil sur le "Piracy Shield" italien pour imaginer de nouvelles recommandations.
Trois recommandations majeures ont ainsi été émises :
- La création d'un "délit de piratage" dans le domaine sportif
- La possibilité de bloquer les flux illicites en temps réel, par des acteurs externes à l'ARCOM, restant néanmoins sous son contrôle
- Inciter les fournisseurs de VPN et de DNS alternatifs à
bloquer les contenus pirates de façon volontaire
Concrètement, le "délit de piratage" consisterait simplement à faire reconnaitre le caractère illégal du piratage de contenu sportif, au même titre que ce qui est déjà prévu dans le Code de la propriété intellectuelle sur les droits d'auteurs. Le rapport précise que ce délit ne viserait pas le consommateur final, mais "les personnes qui publient des contenus sportifs de façon illicite".
Les deux autres recommandations s'attaquent à l'adaptation de l'arsenal permettant le blocage de sites. Il est question de permettre à des agents habilités, externes à l'ARCOM, d'effectuer un traitement en temps réel des adresses IP à bloquer. Enfin, le rapport prévoit de lever le verrou juridique que l'ARCOM rencontre pour transmettre des listes de sites à bloquer aux fournisseurs de VPN et de DNS.
Des mesures impopulaires auprès de géants comme Amazon et Google
Adopté à l'unanimité au Sénat, ce rapport devrait prochainement faire l'objet d'une proposition de loi que les sénateurs espèrent qu'elle sera soutenue par le plus grand nombre.
Concernant le piratage, les titulaires de droits ont toutes les raisons de ce réjouir de telles dispositions. C'est toutefois moins le cas de grandes entreprises comme Amazon, Google, ou encore Cloudflare, réunies au sein de l'Internet Infrastructure Coalition (I2Coalition), qui ont récemment laissé savoir que de telles mesures nuisent à leurs activités. Dans le récent Trade Barriers Report, la coalition se justifie : « Ces restrictions, souvent introduites sous prétexte de protéger les intérêts nationaux ou d'empêcher les contenus illégaux, menacent fondamentalement la nature libre et ouverte de l'Internet ».
Les entreprises formant cette coalition, parmi lesquelles se trouvent également des hébergeurs et des fournisseurs de VPN, comme Hostinger, NordVPN, OVH ou GoDaddy, estiment que l'extension des blocages, notamment aux fournisseurs DNS et VPN est préoccupante. Selon eux, les injonctions de blocage peuvent affecter aussi bien des services utilisés par les pirates que des services légitimes, comme nous en avons eu la démonstration il y a peu en Italie avec le blocage de Google Drive qui a affecté des millions d'utilisateurs. Le rapport de I2Coalition mentionne par ailleurs le Piracy Shield italien, accusé de plusieurs blocages de services légitimes, chez Cloudflare et Google, mais aussi les mesures prises en France.
Il y est notamment question d'une affaire datée de juin 2024, où un tribunal français a ordonné à Google, Cloudflare et Cisco d'agir sur leurs résolveurs DNS pour certains sites web, et ce, malgré la présence de preuves indiquant que l'impact "serait minime" et sans possibilité de suspendre l'ordonnance en attendant l'appel. Une situation qui a par ailleurs mené à l'arrêt pur et simple du service d'OpenDNS, la filialle de Cisco, en France.
Aux États-Unis, la coalition compte ainsi sur l'United States Trade Representative (USTR) pour se faire entendre. « Nous exhortons l’USTR à reconnaître les dommages que ces restrictions peuvent causer, non seulement pour la libre circulation mondiale de l’information, mais aussi pour le commerce et l’innovation ».