Monnaies privées : L'Etat va t'il disparaître ?

Jérôme Bouteiller
Publié le 16 mars 2000 à 00h00
L'apparition des points de fidélisation multi enseignes sur le Web est comparable à la naissance de véritables monnaies privées. Or les Etats ne semblent pas avoir pris la mesure du danger. Car en se substituant aux devises publiques, ces monnaies privées

Du point de fidélité à la monnaie privée.

Le principe des points de fidélité n'est pas véritablement une nouveauté. Utilisés par les compagnies aériennes sous formes de "miles" pour offrir des voyages gratuits à leurs meilleurs clients, ces systèmes ont naturellement fait leur apparition sur le Net à mesure que se développait le commerce électronique. Or, à l'image de "beenz", une société britannique, certains ont eu l'idée de mutualiser leurs points entre plusieurs marchands. Ainsi, un bon client d'une compagnie aérienne recevra des "beenz" plutôt que des "miles" et pourra les dépenser dans les entreprises acceptant cette véritable monnaie privée. Or plus le réseau Beenz (mais il y en a d'autres) se développe, plus les consomateurs ont le sentiment qu'ils disposent d'une véritable monnaie d'échange, aussi valables que des dollars ou des Euros, à la différence près que ces beenz ont été émis par une banque centrale ... privée !

Une fuite virtuelle de capitaux.

Face à cet outil de fidélisation, les marchands tels que ou AOL vont bien évidemment s'engoufrer dans la brêche. Et avec leurs dizaines de millions d'utilisateurs, ces groupes ont suffisamment de puissance pour imposer leurs monnaies et tenir tête aux Etats traditionnels. Dès lors, de nombreux consommateurs pourraient transformer leur patrimoine en monnaie privée, vendant des dollars pour acquérir des "yahooz", leur donnant des réductions sur le réseau Yahoo (simple hypothèse). On pourrait donc voir des situations assez surprenantes de milliardaires en monnaies privées, pointer au chômage car le Fisc et les Etats traditionnels seraient incapables de suivre le niveau réel de leurs richesses. Le danger est réel pour les Etats car l'usage de ces monnaies ne serait pas limité au commerce électronique. En effet, à l'aide des téléphones mobiles, il sera bientôt possible de régler ses achats à l'aide d'une communication entre la banque du marchand (traditionnel) et la banque du consommateur. Si ces deux organismes financiers acceptent les beenz ou les "yahooz", il en sera peut-être terminé des dollars ou des Euros...

Des Etats Asphyxiés

Le problème est que la monnaie permet aux Etats de mesurer les échanges marchands et de les taxer. Si ces échanges échappent à son contrôle, on peut anticiper un énorme manque à gagner fiscal. Outre les échanges financiers que le Fisc n'aura pas pu mesurer et pour lesquels il ne pourra pas trouver la moindre trace, il devra faire face à des fuites de capitaux massives vers ces Etats privés et devra très certainement abandonner des pans entiers de ses domaines d'intervention, faute de moyens pour les financer. Dès lors, les Etats privés, frappant ces nouvelles monnaies pourront disposer d'un pouvoir considérable, celui là même qui était à l'origine de la constitution des Etats traditionnels : l'argent.

Une nécessaire remise en cause du rôle des Etats

L'Internet, en dissociant "Espace de vie" et "Système économique et social" permettra à deux voisins de palier d'appartenir à deux Etats différents, avec tout ce que cela implique en matière fiscale et sociale. Cela nécessite d'accepter que des individus adultes soient libres de vivre dans un système particulier et qu'ils en assument toutes les conséquences. Les Etats sont donc en danger et avec eux, toutes les prestations sociales. Entamons donc dès maintenant une réflexion de fond pour éviter qu'une fois de plus, les plus démunis soient laissés au bord du chemin.

Jérôme BOUTEILLER, Juillet 1999
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