Mieux vaut garder son sang-froid quand on appelle un service client. Chez certains, on a l'impression d'être soumis à la question : « Nom, prénom, adresse, date de naissance, nom de jeune fille de la grand-mère, de sa maîtresse de CM2... » Chez d'autres, on passe un examen, une audition : « après le Bip, tapez les 26 chiffres de votre numéro de compte, une étoile, le code PIN et terminez par # ».
Mais chez Barclays en Angleterre, il suffit d'engager la conversation avec son conseiller et la banque vous reconnait automatiquement. Pas d'identifiant, ni de mot de passe, juste une authentification par la voix au bout de quelques mots. Aux Pays-Bas, la banque ING vient de transposer la technique à son application mobile. Et là encore, ce sont nos babillages qui servent de sésame pour nous connecter et effectuer les opérations bancaires.
En France, La Banque Postale met la dernière main à un système qui permettra carrément de payer à la voix. Lors d'un paiement sur Internet, il suffira de choisir l'option « Talk to Pay ». On recevra alors un coup de fil demandant de s'authentifier par la voix avant de valider l'achat. En test depuis plus de deux ans, ce système vient d'obtenir le feu vert pour un déploiement à l'automne prochain. LCL et le Crédit Agricole pourraient également l'adopter.
Capture d'écran du progiciel de relation client de Barclays gestion de patrimoine.
Des bénéfices dans tous les secteurs d'activité
Comment ça marche ? Un peu comme Shazam, la célèbre application de reconnaissance musicale. On demande au client d'enregistrer quelques phrases à partir desquelles est créée une signature vocale unique. Cette empreinte sonore sert ensuite de maître-étalon pour authentifier les enregistrements suivants en donnant un indice de probabilité. La technologie est aujourd'hui mature avec une vingtaine de fournisseurs reconnus comme Agnitio, Nuance, ValidSoft, VoiceVault, VoiceTrust ou encore Verint.Ce type d'identification serait bénéfique dans tous les services clients ou d'assistance par téléphone (réinitialisation de mots de passe, double authentification pour certaines applications, etc.). Mais c'est le secteur bancaire qui en semble le plus friand. Selon le Gartner, 25% des banques seraient déjà équipées, notamment pour leurs centres d'appels. On ne compte d'ailleurs plus les tests et autres déploiements. D'ici trois ou quatre ans, l'authentification vocale pourrait même devenir une fonction standard dans le secteur.
Comment expliquer cet engouement ? D'abord par l'élimination des maudits mots de passe, si faciles à oublier pour les uns... et à deviner pour les autres. « Depuis le déploiement de la technologie, la satisfaction client a grimpé de façon phénoménale. On a retiré une bonne part de la friction dans la relation client, se félicite Matt Smallman, vice-président de la division gestion de patrimoine de Barclays. Dans le même temps, la durée moyenne d'un appel a baissé de 15%. Ce qui nous fait faire des économies et permet à nos conseillers de gagner du temps. »
La lutte contre la fraude et le phishing sont également mis en avant. « Un numéro de compte ou de carte bancaire peut être intercepté. Un mot de passe ou un code PIN peut être piraté ou cassé. La meilleure authentification est donc forcément biométrique. Et la voix permet une expérience à la fois simple, rapide et pratique » explique Jeroen Losekoot responsable internet et mobile chez ING.
Quelle fiabilité en cas de rhume ?
Chevrotante ou cassée, grave ou aiguë, une voix se reconnaît entre mille. Mais chaque individu possède-t-il pour autant une empreinte vocale unique ? Côté fournisseur de technologie, évidemment, on répond par l'affirmative : « Les empreintes vocales sont aussi uniques que les empreintes digitales. Même de vrais jumeaux ont des conduits vocaux différents » assure Mike Goldgof, vice-président de Agnitio, dont les outils ont servi à authentifier la voix du ministre dans l'affaire Cahuzac. Son concurrent Nuance est tout aussi catégorique. « Nous analysons une centaine de caractéristiques dans la voix. Certaines sont physiques, comme la fréquence d'un son. D'autres sont comportementales, comme le débit ou l'accent. Nous sommes donc capables de nous adapter aux variations résultant, par exemple, d'un rhume ou du vieillissement », explique Joël Drakes responsable avant-vente.Tout le monde n'est pas de cet avis. L'Association Francophone de la Communication Parlée, par exemple, va jusqu'à dénoncer le « mythe de l'empreinte vocale ». Pour ces scientifiques, les variations de la voix dépendent de beaucoup trop de facteurs - l'émotion notamment - pour pouvoir être mises en équation. Plusieurs de leurs travaux ont montré la sensibilité des extraits choisis sur la pertinence de la reconnaissance. Sans compter que la voix peut être modifiée volontairement et même falsifiée par un imitateur ou avec des enregistrements.
Exemple de spectrographe comparé de deux voix.
Néanmoins, plusieurs garde-fous permettent de limiter les erreurs. Pour les enregistrements, Nuance assure avoir une technique pour repérer un son provenant d'un haut-parleur. En cas de doute, certains systèmes demandent également de répéter, partant du principe qu'un être humain sera incapable d'avoir exactement la même intonation deux fois de suite. Enfin, les essais frauduleux (un imitateur par exemple) sont systématiquement enregistrés, et chaque voix, comparée à celle des imposteurs. « Au pire, si le doute persiste, on peut toujours rebasculer sur une authentification par mot de passe » concède Mike Goldgof d'Agnitio.
Résultat, même si l'analyse vocale n'est pas fiable à 100%, les banques s'en accommodent. « Il est largement plus difficile d'imiter quelqu'un que de récupérer son identifiant ou son mot de passe » reconnait-on chez Barclays. Du coup, les déploiements se multiplient. Selon une enquête Associated Press, 65 millions d'empreintes vocales seraient aujourd'hui analysées dans le monde, souvent à l'insu des intéressés. Cela signifie autant d'échantillons vocaux centralisés dans des bases de données et capables d'authentifier les porteurs.
En France, l'aval de la CNIL est obligatoire pour ce genre d'opération. Jusqu'ici, la Banque Postale l'a systématiquement obtenu pour ses différents tests. Elle attend désormais un accord définitif pour le déploiement cet automne.